Que pouvait donc faire Antonin Peretjatko après la petite bombe de La fille du 14 juillet ? Comment s’imaginer être encore surpris par ce réalisateur après le feu d’artifice absurde et vintage dont il nous avait gratifiés ?
La loi de la jungle apporte une réponse malicieuse : poursuivre dans cette veine tout en donnant l’illusion d’arrondir certains angles.
La permanence d’un ton et d’un style et donc, dorénavant, la patte Peretjatko, ne se dément pas : La loi de la jungle multiplie les idées déjantées, qu’elle soient narratives (le pitch même du film, où un stagiaire du ministère de la Norme se voit sommé d’aller homologuer un projet de station de ski indoor en Guyane) ou visuelles : chutes, léger accéléré des gestes comme de voix, maladresse généralisée… La forme baroque, les transgressions narratives (une musique rivée à un personnage, des inscriptions assez godardiennes à l’écran, des références aux sponsors du film sur le tee-shirt d’un rebelle…) achèvent l’allure échevelée de cette odyssée où Vincent Macaigne et Vimala Pons se vautrent dans la jungle, au point de fusionner avec sa loi aux antipodes de toute civilisation : place aux instincts, à la violence et à la sensualité.
Mais la fantaisie absurde elle-même ne règne pas au mépris de tout discours. Dans un maelstrom jubilatoire et anachronique ou cohabitent l’Empire Français de Pompidou et le smartphone, le cinéaste multiplie les raccords avec l’actualité, des fondamentalistes à l’écologie, en passant par la technocratie et la mondialisation asphyxiante. Sans céder au didactisme, et dans un esprit frondeur qui nourrit toute la veine comique du film, il taille des costards à notre époque avec la même vigueur que son actrice met des pains d’anthologie aux sectaires de la jungle.
A cela s’ajoute une audace nouvelle, et peut-être la plus risquée : sur ce bouillonnement burlesque et grotesque, dans lequel les corps sont particulièrement malmenés (piqures, fractures, chutes, infections ignobles, cannibalisme), Peretjatko greffe une histoire d’amour particulièrement sensuelle. La jungle infuse un éveil des sens qui passe dans un premier temps par la contemplation, de la luxuriance végétale puis du règne animal à travers un bestiaire éclectique au sommet duquel trôneront les amants improbables.
La ligne de crête qui fait cohabiter le ridicule, la tendresse et la sensualité torride est extrêmement ténue, mais elle fonctionne. Que ce soit lors d’une frénétique nuit sous l’emprise d’aphrodisiaques ou au fil de séquences laissant éclore un amour tropical (souligné un temps, il fallait oser, par l’Oxygen de Jean-Michel Jarre), le récit ménage des séquences au calme croissant, loin de la furie des hommes. Comme si la valse folle du monde rendait possible ces enclaves, où l’on s’arrête sur le vol de papillons bleus, où l’on s’étreint dans le sable avant de se laisser glisser sur une pirogue dans une jungle devenue familière.
90 minutes de gags en laissent certains sur le carreau ; un rythme aussi frénétique occasionne des baisses de régime dramaturgiques. Mais la variété des registres, l’exhaustivité dynamique et la sincérité évidente de la Loi de la jungle en font aussi sa plus grande réussite. Vivement le prochain.