Le roman de Wells a été aussi adapté récemment ; je n'ai pas vu cette nouvelle adaptation, mais cependant je me suis posé quelques questions. Comment se fait-il que des films qui ont plus de 50 ans sont plus réussis que les productions récentes, alors que l'évolution des moyens techniques devrait permettre de faire quelque chose de plus grandiose et impressionnant ?
D'abord, je trouve qu'il y a une certaine naïveté dans ces vieux films, qu'on ne trouve plus de nos jours. Les énormes enjeux commerciaux sont sans doute en grande partie responsables de cette perte de l'innocence, mais la disparition de cet aspect poétique est pour beaucoup dans la disparition du charme qui allait avec.
Ensuite, les effets spéciaux de cette époque avaient une personnalité. On pouvait immédiatement reconnaître les trucages faits par certains auteurs. De nos jours, les trucages sont impersonnels, faits par une équipe d'informaticiens derrière leurs écrans (ce que Fellini appelait "le cinéma des ingénieurs").
Enfin, les effets spéciaux ne constituaient pas l'unique intérêt du film : on ne négligeait pas le scénario, la réalisation et l'interprétation sous prétexte qu'il y aurait des trucages qui déchirent !
Ce film de George Pal (grand spécialiste des films à trucages de son époque) en est un grand exemple. Sans une seconde de temps mort, le film nous entraîne essentiellement dans un futur très lointain (l'an 802 000 et des cacahouètes), après être passé par une troisième guerre mondiale. Comme beaucoup de films fantastiques d'alors, la peur du conflit nucléaire est extrêmement présente : Londres détruite par un bombardement atomique, sirènes tonitruantes, disparition de l'humanité, autant de thèmes fréquents.
Le scénario mêle habilement de nombreuses références. Ces jeunes qui vivent comme sous hypnose, sans se poser la moindre question et sans réfléchir le moindre instant, font beaucoup penser aux Lotophages de l'Odyssée. Leurs noms d'Eloi et de Moloch ressemblent à des références bibliques. Quant à la fin, elle fait penser au Voyage de Gulliver, où personne ne croit le personnage principal.
Enfin, le scénario se permet le luxe d'une réflexion sur ce qui constitue une civilisation, la culture, etc.
L'interprétation est crédible, les trucages sont très beaux, le film ménage quelques instants de respiration poétique.
C'est beau.