"La Main de Fer" est une œuvre importante du cinéma d'arts martiaux, un classique parmi les classiques qui, si vous l'ignorez, est une des références ultimes à laquelle on doit un petit film pas trop connu d'un réalisateur peu connu également: "Kill Bill" de Quentin Tarantino. Le thème sonore si célèbre de Kill Bill, cet espèce de bruit d'alarme saturé qui survient lors d'un face à face entre deux personnages, provient directement de "La Main de Fer" de Jeong Chang-hwa. La première chose qui marque en voyant ce film, c'est sa cruauté. Les antagonistes - mené par l'excellent Tien Feng - bafouent la morale et vont même plus loin que les habituelles trahisons et guet-apens lâches qui les caractérisent dans les films des années 70-80 de la Shaw Brothers. Une réelle animosité bestiale attise ces derniers, les amenant à préférer mutiler, aveugler ou rendre infirmes plutôt que de tuer. C'est quelque-chose que l'on retrouve dans d'autres films de l'époque, comme "One-Armed Swordman" ou "Un seul bras les tua tous", mais je trouve qu'ici la saveur est bien plus amère et foncièrement mauvaise. Le but n'est pas simplement de nullifier leur kung-fu mais de les humilier et d'asseoir sa domination: l'honneur du pratiquant d'arts martiaux est mort, ne laissant place qu'à une volonté d'écraser pour devenir le Roi incontesté. C'est d'autant plus intéressant que le film est un des pionniers du genre, sorti en 1972, là où je me serais attendu à plus de classicisme. Par opposition le personnage principal, campé par Lo Lieh, acteur que l'on peut retrouver dans les excellents "L'enfer des armes" de Tsui Hark ou encore "La 36e chambre du shaolin" de Liu Chia-Liang, se place comme le dernier rempart contre cette dépravation des arts martiaux. Courageux, humain, déterminé et acharné, il finira même par dépasser son infirmité - les mains brisées par ses ennemis - pour revenir plus fort et venger, non pas lui-même, mais bien les valeurs qu'il défend.
Que ce soit en terme de chorégraphie ou de cinématographie, j'ai trouvé l’œuvre bien plus intéressante que la majorité des films de l'époque. Même si ces derniers sont excellents en terme de combats, ils font bien plus factices et théâtraux, là où ce film est purement viscéral et premier degré. A l'image des personnages, les combats sont bien violents, les coups peu tendres et les blessures rarement superficielles. Pour revenir sur le côté plus "réaliste" de l’œuvre, cela va même jusque dans le choix des décors, tourné réellement en extérieur la plupart du temps et non en studio comme d'autres films de la Shaw. La lumière est également bien plus travaillée, et ce jusqu'au détail qui ajoute un vrai charme à l’œuvre: l'éclairage rougeoyant des mains du héros lorsqu'il s'emploie à la fameuse technique de la main de fer. Subtilement dosée pour ne pas être ridicule et ajouter une touche épique et mystique autour de cette botte secrète. Je ne connaissais pas du tout Jeong Chang-hwa, mais il m'a fait la même impression que lorsque j'ai découvert Ching Siu-Tung, celle d'un type qui se soucie un peu plus que ses paires de la photographie et l'art du plan. Le film est globalement plus léché visuellement parlant, que ce soit dans sa manière de filmer ou dans son attention portée à l'image et à la symbolique. Toutes ces raisons font de "La Main de Fer" est un immanquable du cinéma d'arts martiaux, cas d'école typique qui servira de modèle pour bon nombre d'autres œuvres par la suite. Il reste malheureusement assez difficile à trouver comparé à d'autres films de l'époque, mais si vous en avez l'occasion, jetez vous dessus vous ne le regretterez pas !