Avant les sagas
Dowson City, à se souvenir fut un cimetière pour de petites œuvres, nous nous avons su sauvegardés et restaurés, une saga ? non plus.
le 13 févr. 2021
Nous pouvons dire, qu’à notre époque, les séries ont la cote. Nous serions presque tentés d’y voir un effet de mode, d’une évolution de la place des séries dans la culture populaire, même si, en réalité, cela fait plusieurs décennies qu’elles nous accompagnent. Et si l’on est tentés de penser que ce format est né et s’est développé au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ses origines sont bien plus anciennes. Revenons aujourd’hui sur un serial oublié et pourtant loin de devoir rougir face à ses successeurs : La maison du mystère.
Le cinéma français fut pionnier dans la production de séries. Il y a un réalisateur, en particulier, qui fit de ce format sa spécialité, et qui posa les bases des codes qui le régissent : Louis Feuillade. Dès le début des années 1910, il produit des séries de films, divisés en épisodes. Ses séries les plus connues restent Fantômas (1913), Les Vampires (1915) et Judex (1916), des intrigues policières qui tiennent les spectateurs en haleine, se prenant au jeu. Tout y est déjà, de la gestion du rythme à l’utilisation de cliffhangers. Alors qu’une nouvelle décennie avait débuté, la nouvelle société Albatros, fondée par des artistes russes ayant émigré après la révolution de 1917, allait elle aussi tenter l’expérience avec La maison du mystère.
Adapté de la nouvelle de Jules Mary, La maison du mystère s’étale sur une durée dépassant les 6 heures, et se scinde en 10 épisodes. Avec une histoire s’étalant sur une vingtaine d’années, couvrant le début du XXe siècle, La maison du mystère nous fait vivre une aventure pleine de rebondissements, de mensonges, de trahisons et de manipulations. Ivan Mosjoukine, l’acteur le plus emblématique de l’Albatros, bel homme et charismatique, hérite du rôle principal, celui de Julien Villandrit, le chef d’entreprise et père de famille victime des machinations perpétrées par Henri Corradin, son second et prétendu ami, campé par Charles Vanel, qui fréquentait l’Albatros à l’époque. L’acteur, à la carrière la longévité impressionnante, et que l’on connaît plutôt pour des films bien postérieurs comme Le salaire de la peur (1953), tient déjà un rôle à l’image de certains de ceux qui feront sa renommée, comme celui du film de Clouzot par exemple.
Nous sommes, avec La maison du mystère, face à un drame relativement classique, avec ces personnages aux rôles bien identifiés, ce chantage qui entretient le suspense, et des retournements de situation. Comme dans les séries actuelles, le film laisse, à la fin de chaque épisode, le spectateur en suspens pour lui donner envie de découvrir la suite. En termes de construction et d’écriture, La maison du mystère remplit très bien son rôle, et sa durée n’est en rien un élément bloquant, le film pouvant se regarder épisode par épisode, et l’ensemble étant suffisamment prenant pour qu’on se laisse aller à le binge watcher, comme on dit. Mais savoir raconter une histoire ne fait pas tout. La maison du mystère reste avant tout un film produit et réalisé par l’Albatros, et le studio est réputé pour avoir offert des films de grande qualité au cours des années 20, qu’il s’agisse de grandes fresques épiques comme Michel Strogoff (1926) ou de mélanges des genres plus audacieux comme Le Brasier Ardent (1923).
Le dénominateur commun aux films de l’Albatros était, sans aucun doute, l’ambition. Vouloir voir plus grand, ou adopter un regard neuf et innover. La maison du mystère rejoint ces points de vue. Modestement qualifié comme étant « Le plus grand film français » sur son affiche publicitaire, le film l’était certainement par l’importance des moyens mis en oeuvre. Il y a, déjà, comme dit auparavant, le facteur non-négligeable de la durée, mais c’est aussi un film qui réunit une très belle distribution avec, en tête, Charles Vanel, alors en pleine ascension, et Ivan Mosjoukine, icône de l’Albatros, et sans aucun doute l’un des plus grands acteurs de son temps. Le second, notamment, s’adonne à la polymorphie, comme il le faisait souvent, changeant d’apparence à plusieurs reprises et montrant toute l’étendue de son jeu. Là où le cinéma muet est connu pour l’expressivité des acteurs, compensant l’absence de dialogues par une gestuelle plus éloquente, Ivan Mosjoukine était réputé pour sa retenue et sa capacité à retenir ses émotions tout en parvenant à les transmettre.
La maison du mystère est un film qui ne manque pas de coups d’éclat, et de surprendre le spectateur à maintes reprises. On pense, par exemple, à la scène de la célébration du mariage entre Julien et Régine, toute en ombres chinoises, offrant un gracieux ballet où les silhouettes se meuvent avec élégance. On pense, aussi, à la spectaculaire évasion de Julien, à ce surprenant « pont humain », et à l’impressionnante scène de course-poursuite en train, quelques années avant le chef d’oeuvre de Buster Keaton, Le Mécano de la General (1926).
Quasiment tombé aux oubliettes, et à tort, La maison du mystère est un film généreux et ambitieux, parvenant à toujours garder l’attention du spectateur, à nous faire suivre avec intérêt cette histoire trépidante dont on veut savoir quelle pourra en être l’issue. Avec une mise en scène inspirée et des acteurs de légende, il offre six heures de plaisir de cinéma, et on éprouve presque des regrets une fois le dernier épisode fini, car on en demanderait encore un peu plus.
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Créée
le 17 mai 2020
Critique lue 388 fois
8 j'aime
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