La Maison du sourire par Alligator
oct 2009:
Marco Ferreri retrouve un thème qui lui est cher : les laissés pour compte de la société, les hypocrisies bourgeoises et l'étroitesse d'esprit des coincés du coeur et du cul. Il avait déjà évoqué l'ostracisme dont sont victimes les personnes âgées et les handicapés dans El cochecito, du temps où Ferreri bossait en Espagne avec Ascona. Dans cette "maison du sourire", on plonge dans l'univers ouvert mais paradoxalement carcéral d'une maison de retraite. La violence du milieu saute au visage avec d'emblée une séquence brutale durant laquelle une vieille femme obèse est "lavée" au jet d'eau pour s'être chiée dessus, sous un tombereau d'insultes et de reproches de la part de l'aide soignante. La vieille dame recule tant que faire se peut l'angoissant moment où elle sera si impotente qu'elle devra changer de quartier dans l'hospice. Dans l'établissement, une zone appelée l'Afrique parce que le personnel est majoritairement noir, est constituée de rangée de lits où les individus incapables de se déplacer attendent la mort. Plus tard, elle feindra d'avoir eu chaud et de préférer le sol frais de sa chambre pour expliquer qu'on la trouve ainsi affalée par terre.
Mais ce n'est pas uniquement de la terrible vérité du grand terminus où tout le monde descend, de l'inhumaine manière dont certains membres du personnel s'occupe de leurs patients que provient la plus cruelle des violences. Entre les vieux également se déroulent des combats acharnés. Pour dépeindre ces rapports parfois indignes, le scénario accompagne Ingrid Thulin qui rencontre Dado Ruspoli. Ces deux petits vieux après une gentille cour, forte d'abord de sourires et de mots doux, s'adonnent à une bonne baise dans la caravane en forme de pastèque qu'un couple d'africains leur a prêté.
D'ailleurs le contraste entre l'amabilité du personnel africain et l'européen est un peu schématique et simpliste faisant d'un racisme à l'envers un argument symbolique bête et grossier. Ferreri en profite pour asséner quelques méchants coups de pieds à l'usage que l'on fait parfois de la psychanalyse, surtout quand on y associe un discours rétrograde à la morale déshumanisante. Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit, l'axe, le centre d'intérêt de cette histoire : montrer combien le regard sur les vieux est imprégné d'une philosophie de la faute, une vision rétrécie, religieuse de la vieillesse, de la décrépitude, de la sexualité, du corps et de l'usage que l'on en fait. Pour beaucoup de gens, les vieux n'ont pas de sexualité, n'y ont pas droit. Une sorte de tabou où vieillesse, mort et sexe font un dégoûtant ménage à trois. Le couple amoureux est confronté aux regards des autres vieux, à la jalousie, à la folie mais également à la réprobation de toutes les institutions : la famille d'abord avec la belle-fille de Thulin qui récupère l'argent de la vieille mais ne se prive pas pour autant de lui donner des leçons de morale ; la directrice de l'hospice qui entend mater dans l'oeuf cette amorale idylle, par trop débridée ; les jeunes du personnel blanc qui s'amusent aux dépens de Thulin en lui cachant puis en paumant son dentier, ce qui va déclencher une vague d'évènements paroxystiques.
La tentative d'exister pour ce couple contre vents et marées, malgré l'hostilité croissante de leur environnement est une jolie idée qui se concrétise facilement grâce aux deux comédiens. Thulin, au visage comme boursouflé par le bistouri, a fait là un choix courageux en acceptant ce rôle ingrat sur la vieillesse. Ruspoli n'est pas placé dans la même position délicate. Il apparait comme un simple latin lover, débordant d'amour et avec une dépendance à son physique beaucoup moins fragilisante. C'est bien sur Thulin que repose le propos du film, sur sa capacité à endosser la parure de la fleur fânée et à qui on refuse la dignité élémentaire de bien vieillir, dans la quiétude de l'estime de soi.