La Malédiction bénite
Au milieu du flot intarissable de suites, prequels, remakes, reboots & autres requels chargés de prolonger toutes sortes de franchises à succès, notamment dans le domaine de l'horreur/épouvante,...
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le 16 avr. 2024
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Au milieu du flot intarissable de suites, prequels, remakes, reboots & autres requels chargés de prolonger toutes sortes de franchises à succès, notamment dans le domaine de l'horreur/épouvante, l'annonce d'un retour sur les origines du petit Damien de "La Malédiction" était à peu près aussi enthousiasmante que de songer à un soin thermal à base de lave dans une succursale de l'Enfer, surtout que dans le cas présent on savait déjà que cet Antéchrist en culotte courte était le fruit d'une partie de jambes en l'air forcément pas très catholique... Et, pourtant, contre toute attente, "La Malédiction: L'Origine" nous a forcé à ravaler notre vieille bave de bouc aigri en nous happant dans une sacrée belle ambiance en forme d'hommage réussi au film de Richard Donner et même, plus largement, à la mouvance des années 70 tant aimée du genre.
En 1971, Margaret, une religieuse novice venue des États-Unis, est envoyée en Italie pour s'occuper de jeunes filles recueillies dans un orphelinat de l'Église. Au milieu des autres enfants et d'événements troubles, son attention se porte plus particulièrement sur une adolescente que les sœurs semblent chercher à isoler de ses camarades du fait de son étrange comportement...
Sur le quasiment même point de départ, "Immaculée" nous avait récemment laissé sur une impression mitigée, son détournement moderne de la nunsploitation (autre sous-catégorie emblématique du genre des 70's) afin de dénoncer la dépossession du corps féminin par autrui et la performance de Sydney Sweeney (comédienne idoine par son statut actuel pour symboliser la portée de ce propos à travers ce rôle), notamment lors d'une géniale séquence finale, n'étaient pas à remettre en cause, mais, malgré certains efforts notables, le film avait peiné à totalement nous envelopper dans son atmosphère parfois un peu trop timide (et pas aidée par une trame trop classique) pour vraiment répandre tout ce qui faisait le sel du pan cinématographique qu'il cherchait manifestement à ressusciter à l'écran. Avec les mêmes ingrédients, "La Malédiction: L'Origine", lui va parvenir à faire mieux. Voire même beaucoup mieux.
Déjà, cela passe par une appropriation esthétique complète des films 70's où la psychologie de plus en plus malmenée de leurs héroïnes au fil de diverses péripéties tendait à imprégner l'image pour l'envahir de façon irrémédiable, "La Malédiction: L'Origine" ne paraît ainsi pas singer l'atmosphère si particulière des longs-métrages de cette époque avec le dessein de se les réapproprier sous un angle plus contemporain, il s'y inscrit juste pleinement, donnant à ce prequel de véritables allures de film d'épouvante sorti tout droit d'une machine à remonter dans le temps, qui aurait comme par miracle fait fi de tout ce qui aurait pu sortir après lui. Même si la maniaquerie formelle n'y est peut-être pas aussi poussée, le choix d'Arkasha Stevenson de raviver aussi frontalement une forme de narration attachée à une époque, qui passe autant par l'image que par l'ambiance conséquente de déséquilibre mental progressif de sa protagoniste principale, fait presque inévitablement penser au cinéma de Ti West, autre réalisateur très attaché à retranscrire les saveurs d'un langage de l'épouvante parfois hélas trop révolu.
En plus de vraies belles trouvailles de mises en scènes capables de vous faire bondir de votre fauteuil (oui, il y a des jumpscares mais au service d'apparitions toujours savamment construites - bon sang, le coup de la tenue pendue au mur !), Arkasha Stevenson livre donc un long-métrage complètement focalisé sur la perte de repères de Margaret prise dans un engrenage de folie cléricale, broyeur de ses croyances.
Ne voyant pas d'un bon oeil une société italienne sur le point d'être bouleversée par la soif de changement de sa jeunesse, la partie la plus archaïque de l'Église va en effet devenir ici cet "autre" tentaculaire, qui détourne ses propres principes pour une cause qu'il croit être sa survie, en cherchant à s'accaparer aussi bien littéralement que métaphoriquement les corps d'innocentes victimes en vue d'arriver à ses fins obscures.
Engloutie par une spirale qui ne cesse de révéler la puissance de son emprise en vue d'étouffer la moindre envie de ses proies d'embrasser leur statut de femme, Margaret va peu à peu se laisser submerger par le poids de cette vérité qu'Arkasha Stevenson traduit toujours superbement au détour d'un plan jouant sur l'apparence physique de son actrice pour en traduire les conséquences sur son esprit (ceux "capillaires" sont particulièrement bien trouvés), d'une vision issue d'un passé déjà lourd, de mises à mort violentes et, bien entendu, de l'entrée de plus en plus fracassante du fantastique le plus noir au sein de sa destinée.
Certes, l'intrigue reste assez classique et ses quelques rebondissements majeurs se laissent deviner sans mal (en gros, avec l'interrogation constante sur qui va être réellement la maman de cette petite fripouille de Damien ?) mais la force de frappe de la réalisation en vue de nous faire ressentir l'âme de son héroïne qui y perd pied pour ensuite chercher à s'en sauver est imparable, sublimée par la musique ô combien sinistre de Mark Korven et cette géniale interprète qu'est Nell Tiger Free. Évidemment, on pourra dire que la comédienne a eu quatre saisons de la série "Servant" -que l'on vous recommande- pour se préparer à ce type de rôle mais la prestation possédée qu'elle livre ici (cette séquence folle furieuse devant l'église, punaise !) fait gentiment passée celle de Sydney Sweeney dans "Immaculée" pour un numéro de kermesse d'école (bon, on exagère peut-être... mais elle la dévore quand même toute crue).
Bref, alors que l'on n'aurait a priori pas misé grand chose dessus, "La Malédiction: L'Origine" nous aura surpris au plus haut point en tant que vrai bon film d'épouvante au sens noble, entremêlant son discours et son ambiance dans un tout à la fois rétro et brillant que l'on ne voit que très rarement revenir à la vie sur grand écran de nos jours. La meilleure preuve (et compliment que l'on pourrait lui faire) en est peut-être le fait que l'on pourrait enchaîner sur "La Malédiction" premier du nom sans aucune difficulté tant, à tous les niveaux, l'approche de ce prequel s'en montre respectueuse et fidèle... Et même carrément très maligne pour dresser la potentielle voie à de nouvelles suites que l'on n'avait pas forcément vu venir. Une réussite qu'on vous dit.
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le 16 avr. 2024
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