Promenade dans la nuit est le plus ancien film réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau et qui est encore conservé. Parmi les premiers membres d’une filmographie d’exception, il nous convie aux racines du cinéma d’un cinéaste allemand majeur.


Nous découvrons ici un docteur réputé, le Dr. Eigil Börne, qui cherche à réussir et à être reconnu par ses pairs. Sa fiancée Helene le soutient, et même si cette quête de réussite la tient éloignée de lui, et que cela demande des sacrifices, elle est consciente que cela constitue un moyen pour eux d’espérer un avenir radieux. Il en serait ainsi si, soudainement, une danseuse ne se trouvait pas être charmée par le docteur, qui, malgré des réticences, va lui céder et rompre les fiançailles dans lesquelles il s’était engagé. Malgré la radicalité du geste, tout paraît alors plus léger, joyeux, un retour vers l’insouciance, dans une campagne de bord de mer synonyme de liberté, loin du tumulte de la ville. C’est le début d’une longue promenade dans la « nuit », une nuit qui se traduit par des incertitudes pour le Docteur Eigil Börne, la solitude pour Helene et la cécité, pour le peintre.


Dans ce film, Murnau met en scène un triangle amoureux, chose habituelle à l’époque. Le docteur et la danseuse flânent au bord de la mer pendant que l’ancienne fiancée brûle de vieilles lettres qu’elle avait gardé. Malgré la tristesse et la rancœur, elle rêve encore. Ici, tout semble dépasser les protagonistes. Le docteur ne peut refouler son attirance pour la danseuse malgré ses fiançailles engagées, et la danseuse ne pourra se retenir de se rapprocher du jeune peintre, mettant d’ailleurs en garde le docteur car elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait résister malgré son amour pour lui. Dans Promenade dans la nuit, le destin est maître de tout, menant les actions des protagonistes, suivant les théories freudiennes qui s’immiscèrent dans le cinéma allemand des années 1920, et rappelant le cinéma de Victor Sjöström notamment, par exemple. En effet, ici les individus ne peuvent refouler les sentiments qu’ils ont les uns envers les autres, se laissant guider par des forces qui les dépassent. C’est l’un des points qui balisent la plupart des films de Murnau, l’un des exemples les plus proches dans sa propre filmographie restant la relation extra-conjugale et dévastatrice entre l’homme et la femme de la ville dans L’Aurore (1927).


C’est, également, ce qui fait la caractéristique du cinéma expressionniste et des films qui se rapprochent de ce mouvement, dont Murnau fut également un représentant important. Au vu de la place du film dans sa filmographie et dans l’histoire du cinéma, il est intéressant de voir dans Promenade dans la nuit une sorte d’hybride entre un cinéma déjà en place auparavant, notamment chez Sjöström, et un cinéma qui se développe, en l’occurrence le cinéma expressionniste allemand, au cours des années 1920. Les points de convergence avec le cinéma du cinéaste suédois sont nombreux. A commencer, donc, par cette idée d’un destin inéluctable dépassant la volonté des personnages, mais aussi l’appel à des éléments visuels évocateurs, comme, notamment, la séquence où une tempête déchaîne la mer, représentant les tumultes animant la conscience du héros, et qui rappellent aussi ces mêmes tumultes marins qui affectaient Terje Vigen dans le film du même nom. Cette imagerie naturelle, projetant une subjectivité dans des éléments extérieurs, sera d’ailleurs l’un des piliers de l’expressionnisme, comme si ce film-charnière semblait, d’une certaine manière, faire du cinéaste suédois un précurseur du mouvement, Sjöström servant d’inspiration à un cinéaste montant et qui sera révélé grâce à l’expressionnisme, justement.


Promenade dans la nuit est un film intéressant, à la croisée de l’expression des inspirations de Murnau et des expressionnistes, et de la mise en place et en lumière des codes et des composantes récurrentes de son cinéma. Il est d’ailleurs amusant de souligner ici, dans le rôle du jeune peintre aveugle, la présence de Conrad Veidt, acteur expressionniste par excellence, depuis son rôle de Cesare dans Le Cabinet du Docteur Caligari (1920) puis, plus tard, en tant que Gwynplaine dans L’Homme qui rit (1928) de Paul Leni. Il est certes, hélas, impossible de retourner aux réelles origines et aux débuts du cinéma de Murnau, mais ce métrage parvient, quelque part, à donner cette impression, parvenant à nous emporter dans une spirale émotionnelle forte et évocatrice.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 26 févr. 2020

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