L'une des grandes révélation de ce cycle à la Cinémathèque. Un impressionnant tour de force visuelle et esthétique d'une incroyable modernité qui s'impose comme un laboratoire d'idées plastiques à la limite de l'avant-garde et de l'expérimental. L'histoire en elle-même n'est qu'un prétexte et repose sur un schéma très simple qui met peu de temps à se mettre en place. Cela dit, les personnages ne sont pas de banals pantins mais parviennent à prendre vie par ce travail de réalisation qui crée un environnement viscéral incroyablement immersif, reposant également sur des scènes assez longues, presque trop étirées par moment.
C'est avant tout au niveau du cadrage que la mélodie du vieux marché est remarquable. Les plans sont très serrés, avec peu de plans larges, accentués par de longues focales qui mettent en valeur les visages et les regards. Il en ressort un profonde effervescence dans l'arrière plan où les activités et passages incessants des habitués du marchés créent un flot continu de mouvements qui deviennent bientôt un émulateur et un symbole de la tension et des émotions, comme si la foule floue et indéfinissable traduisait les dilemmes et les états d'âmes des personnages.
L'arrière plan est constamment utilisé dans cette "optique", qu'il s'agisse d'un rivière tumultueuse, de ruelles sordides ou d'un immense bar où les fenêtres dessinent des ombres chinoises. De plus, ce jeu sur la profondeur de champ est souvent décuplée par un travail tout autant audacieux sur la photographie, notamment dans l'utilisation de sources de lumières clignotantes (plus ou moins artificielles) qui viennent couvrir l'intégralité d'un visage plongé dans la tourmente.


Pendant 40 minutes, la mise en scène est ainsi bluffante et multiplie les séquences anthologiques : la présentation du marché et des personnages, le jeu/défi sur le toit au découpage virtuose, le désir de la fiancée d'Artem de changer de vie alors que ce dernier éprouve de plus en plus de dégout pour l'alcool et la débauche se déroulant à proximité (donnant deux sensationnelles séquences dans un troquet populaire et musical), la tentative d'assassinat et la lutte d'Artem pour ne pas se noyer ou encore le suicide d'un personnage féminin.


Le dernier acte est plus traditionnel et rejoint forcément l'éloge de la révolution communiste où Artem se découvre de nouveaux amis ainsi que les bienfaits du socialisme soviétique. Mais la chaleur de la description des rapports humains prend heureusement le pas sur la propagande sans amenuiser une violence critique de l'antisémitisme.


Le film a été proposé dans une version sonorisée assez agaçante au début avec des bruitages horripilant et terriblement factices avant de s'avérer plus réussie une fois qu'on se recentre sur les protagonistes et que la musique prend le pas.
D'après le site kinoglaz, c'est Abel Gance lui-même qui s'en serait occupé en 1932 pour la sortie française (bien que le film connut un exploitation sonore en Russie). J'ai l'impression que c'est cette version française qui a été projeté à la vue des cartons d'introductions. Mais je n'en suis pas sûr. Enfin, le film subit également plusieurs ellipses assez violentes et je me demande s'il ne manque pas plusieurs minutes : la copie de la CF faisait 65 minutes mais imdb indique 85 minutes. La mélodie du vieux marché étant un film désormais totalement oublié et devenu très rare, pas facile de trouver plus d'info, y compris sur son réalisateur.

anthonyplu
8
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le 29 déc. 2017

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anthonyplu

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