Ancien tueur en série se voulant justicier, Kim Byeong-Soo (Seol Kyeong-gu) a cessé ses crimes le jour où un grave accident a entraîné chez lui de graves crises d'amnésie. Mais voilà que 17 ans après, une nouvelle vague de meurtres survient. Ayant croisé la route de celui qu'il pense être le coupable, un policier nommé Min Tae-joo (Kim Nam-gil), Byeong-Soo décide de mener sa propre enquête pour l'identifier. Mais au fur et à mesure qu'il progresse, le doute l'envahit : Min Tae-joo est-il vraiment le responsable ? Ou bien sa propre mémoire lui cacherait-elle la vérité ?
Il y a des jours où l’on se dit qu’on ne comprendra jamais vraiment le monde dans lequel on vit. C’est exactement la pensée qui vient lorsqu'on constate qu’un film du calibre de La Mémoire assassine, film coréen ayant bénéficié d’une sortie en salles dans son pays d’origine, en est privé chez nous. Ça n’est pas une raison pour bouder notre plaisir (même si, en l'occurrence, j'ai eu la chance de bénéficier d'une séance en salle grâce aux Cinexpériences de SensCritique), et on ne peut que se réjouir que la plateforme e-cinema.com ait pris les choses en main pour faire sortir autant que possible ce film de la discrétion qui lui a été imposée chez nous.
Il y a deux films en un, dans cette Mémoire assassine : un thriller policier hypnotisant et un drame sur la maladie et la mémoire, le tout agrémenté de quelques incursions dans la comédie tout-à-fait bienvenues. S’il n’avait été que l’un ou que l’autre, nul doute que La Mémoire assassine ne serait pas arrivé au niveau auquel il se trouve, mais en mélangeant les deux avec une rare maestria, le film de Won Shin-Yeon arrive à se tracer son propre chemin. En effet, l’étroite imbrication du thriller et du drame permet de faire ressortir à merveille les enjeux profonds du récit, en plongeant le spectateur dans la peau du personnage principal, par une mise en scène d’une extrême rigueur et surtout grâce à un étonnant montage. Celui-ci, d’apparence erratique et désordonnée, surprend au début tant il semble ne pas être maîtrisé. En réalité, c’est par lui qu’on se sent réellement proche du personnage de Byeong-Soo, car en nous faisant perdre tous nos repères, il transforme le film de Shin-Yeon en expérience quasi-sensorielle. Ainsi, à la manière d’un Memento de Christopher Nolan, le spectateur est privé du recul qui caractérise habituellement sa situation pour se retrouver ballotté en tous sens aux côtés des personnages par une abondance de faux-semblants qui lui vrillent le cerveau et lui font remettre en cause tous ses acquis, jusqu’à sa perception même de la réalité.
Ne cachant rien d’essentiel à son spectateur (et s’éloignant ainsi des sentiers battus d’un Fight Club), Won Shin-Yeon nous révèle dès le début les tenants et les aboutissants de son intrigue, mais ce faisant, il instaure rapidement un jeu machiavélique de « Vrai ou pas vrai ? » avec son spectateur, qui tente à chaque seconde de déterminer si ce qu’on lui montre à l’écran est la réalité ou simplement un fantasme issu du cerveau malade de Byeong-Soo. En vain, bien sûr, ce qui permet au réalisateur de nous balader autant qu’il lui souhaite sans qu’on se retrouve à ne pouvoir rien faire. Certes, il en profite pour nous asséner un nombre ahurissant de rebondissements en tous genres, dont certains pourront trouver l’abondance excessive, mais pourtant, cette multiplication des twists ne se fait jamais au prix d’une cohérence qui restera intacte jusqu’à la fin.
On pourrait plus légitimement reprocher à Won Shin-Yeon de se laisser tenter par le piège du cinéma coréen, qui réside dans une violence immodérée et invasive, mais ici, en plus d’être constamment maîtrisée par la photographie rigoureuse et jamais racoleuse de Choi Young-hwan, la violence se trouve davantage justifiée par le fait qu’on n’a pas oublié de nous faire saisir toute la complexité du récit et des personnages, et à travers elle, la vacuité de cette violence destructrice.
Ainsi, en plus d’être un thriller parfaitement ficelé, captivant et angoissant, La Mémoire assassine s’avère un drame humain d’une belle profondeur, et un des films sur la maladie les plus hypnotisant qu’il m'ait été donné de voir. Le genre de film qui ne quittera pas ma mémoire de sitôt…