Plongée naturaliste dans les bas-fonds du quart monde, La merditude des choses ose le pari risqué de traiter d’un sujet sur le fil : pour susciter à la fois tendresse et effroi, empathie et révolte, rire et consternation.
L’immersion se fait comme on visiterait le folklore d’une contrée lointaine : course de cyclistes nus, beuveries travesties, concours de bières cul-sec ou Tour de France de biture, la populace se divertit avec une fougue souvent rabelaisienne. Nerveux, enlevé, emporté par des comédiens à l’énergie dévastatrice, le tableau est aussi authentique qu’éprouvant.
Pivot de cet univers où la déchéance sur fond de Roy Orbinson semble être le seul divertissement, Gunther, 13 ans, à qui l’on inculque son appartenance au clan des Strobbe comme un rite barbare. Tour à tour hilare et désespéré, désireux de s’en sortir et attaché à ces racines empoisonnées, l’enfant dialogue avec un récit parallèle où, devenu adulte, il tente de s’en sortir par l’écriture et semble reproduire l’incapacité amoureuse dont il a été victime.
Sans jamais tomber dans le piège du pathos excessif ou de la complaisance, Ayant l’intelligence de restituer les passages les plus saillants par des ellipses, Felix Van Groeningen analyse avec tact les dernières traces d’amour dans un monde apparemment sauvage. Dotés d’un humour immature, faibles face à l’alcool, primaux et abrutis, les adultes ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils capitulent avec les aboiements des animaux effrayés : dans le fracas et l’inconscience. Le parcours parallèle de l’apprenti écrivain, qui quitte la spirale non sans prendre des coups au passage, dresse une rédemption par la parole qui reflète bien le projet du cinéaste ; celle de dire les choses avec une sérénité et un recul qui permet d’avancer en dépit des blessures.
(7.5/10)