Il est des films symptômes. Toute œuvre se nourrit bien évidemment du terreau de son époque, par imprégnation directe ou par contrepoint, mais certaines d’entre elles en apparaissent comme l’émanation singulière, la fleur autochtone. Tel est le cas de « La Métaphysique du berger », premier long-métrage, documentaire, de Michaël Bernadat.
Le berger annoncé par le titre est Boris, un trentenaire bien connu du réalisateur, puisqu’il en est l’ex-beau-frère. Après avoir entrepris des études de philosophie (d’où, sans doute, le titre, plus que l’originalité de la réflexion), le jeune homme a bifurqué vers l’état de berger, qui lui semble plus en accord avec ses convictions et son rapport au monde. À travers les saisons, le film accompagne Boris dans les activités commandées par ses différents lieux d’exercice. La capture du son engendré par ces tâches successives fut l’un des points d’attention particuliers, confié à Renaud Duguet et créant sa musique propre. Dans un jeu d’équilibre finement pensé, la musique proprement dite est rare, discrète, et sachant se dissoudre dans l’atmosphère du documentaire ; hommage à son compositeur, Cédric Michon. Dans le respect de cet équilibre, le commentaire produit par Boris lui-même, en voix off, n’est que sporadique, ce qui souligne son caractère méditatif, comme dicté par les activités plutôt que les dominant par son caractère spirituel.
Enfant de l’ère écologique dans laquelle nous évoluons depuis quelques années déjà, une ère dans laquelle le surgissement du Covid-19 fait figure de Savonarole, la pensée de Boris s’étaie sur une série de dichotomies commandées par les espaces côtoyés et les gestes qui leur sont attachés. Les hauts plateaux du Vercors et leurs reliefs abrupts, rejoints par Boris durant les trois mois d’estive, sont vécus comme un espace de liberté, dégagé des contraintes sociales ; sur ces terres d’altitude, la pensée peut à la fois s’élever et se réconcilier avec le corps, qui retrouve son harmonie avec la nature et vit au rythme des bêtes. Le prix à payer étant celui d’une relative solitude, pouvant éventuellement s’ouvrir au couple, mais rompue et menacée jusqu’à cesser d’être viable, si un nourrisson se met en tête de venir y dicter sa loi… A l’opposé, les vallées renouent avec la société, la pesanteur de la matérialité, ses risques de panne (onéreuse !) et de traîtrise. La vie sociale, humaine, retrouve ses droits, ce qui pourra convenir au bébé qui « aime les gens », mais comportera comme un arrière-goût de défaite pour le jeune berger, dès lors contenu entre quatre murs durs et dont la barbe s’est nourrie et embroussaillée, comme une timide et discrète revendication d’un reste de sauvagerie.
Michaël Bernadat signe ici un film sensible, traversé par la puissance des grands paysages, qui rejoint bien les questionnements actuels concernant les choix de type de vie (à la ville ? à la campagne ?) et de société mise en place (consumériste ? respectueuse ?), et qui comporte au passage une belle réflexion sur le geste de donner la mort, fût-ce à un animal…