Écrit par Akira Kurosawa et réalisé par son ami Senkichi Taniguchi, La Montagne d'Argent (apparemment diffusé en salles début 2008 puis à la télé sous le titre Au-delà du col enneigé) marque surtout la première apparition sur un écran de Toshirō Mifune, futur collaborateur de Kurosawa. À ses côtés, le toujours aussi bouleversant Takashi Shimura, fidèle au même réalisateur japonais depuis ses débuts, qui partage pour la première fois l'affiche avec Mifune mais aussi le temps de quelques scènes avec Yoshio Kosugi, qu'il côtoiera pendant sept autres films.


Nous suivons ici trois puis deux gangsters en fuite après le cambriolage d'une banque. Recherchés par la police, ils finissent dans un chalet reculé dans les montagnes enneigées où ils sont accueillis chaleureusement par leurs hôtes, un grand-père bienveillant, sa petite-fille et un guide touristique local. Et dans cet endroit immaculé, minuscule havre au milieu d'une immensité terrassante de sérénité et d'harmonie, l'un des deux compères va être particulièrement assagi par les lieux tandis que l'autre, paranoïaque et d'un naturel haineux, va rendre la situation plus difficile.


Sur un postulat simple de huis-clos routinier, le récit va d'ores et déjà porter la patte d'un Kurosawa déjà bien imprégné du cinéma américain (culture à laquelle il livre par ailleurs un sympathique et surprenant clin d'œil en cette période d'après-guerre douloureuse), se penchant pour la première fois sur le film noir, un an avant L'Ange Ivre qui marquera sa première coopération avec Mifune. Ce dernier reste par ailleurs le clou du spectacle : imposant, glacial, furibond, beau comme un diable, l'acteur de 27 ans dégage déjà un charme fou, phagocytant l'écran d'une prestance inouïe.


La mise en scène s'avère en revanche assez sommaire et, premier long-métrage oblige, Senkichi Taniguchi peine à exploiter ses décors à bon escient, à savoir où placer sa caméra pour capturer le regard (si ce n'est pour un ou deux plans), pas non plus aidé par un montage trop hâtif, presque succinct, pourtant co-orchestré par Kurosawa himself. D'une assez courte durée, le film ne démarre pourtant pas sous les meilleures auspices, l'introduction étant assez laborieuse (le réalisateur n'a pas encore saisi l'importance du "Show, don't tell") tandis que certaines séquences manquent sévèrement de maîtrise, d'assurance, heureusement sauvées par un long final majestueux que l'on croirait presque entièrement réalisé par le scénariste tant il tranche avec la qualité des 60 précédentes minutes.


Ainsi, en dépit de quelques défauts de rythme, de découpage et d'une disposition musicale assez hasardeuse (musique proposée par un jeune compositeur alors lui aussi sur son premier film, un nommé Akira Ifukube...), cette Montagne d'Argent demeure une œuvre sombre, mélancolique et violente, un récit de rédemption et d'humanisme suffisamment bien mené pour passer un agréable moment en très bonne compagnie (excepté pour la jeune Setsuko Wakayama, agaçante de bout en bout) et l'occasion de découvrir les débuts d'un beau monde qui marquera le cinéma japonais à jamais.

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le 5 janv. 2021

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