Victor Sjöström, pionnier du cinéma muet suédois dans les années 1910-1920, réalise "La Montre brisée" deux ans après "Les Proscrits" pour y suivre une chronique sentimentale paysanne dans un environnement un peu moins rural et montagnard, cette fois-ci davantage tourné vers l'intérieur des habitations. Quelques panoramas extérieurs subsistent, des caméras embarquées sur des chariots par-ci, un arrière-plan naturel majestueux par-là, mais ils sont clairement minoritaires. Dans cette histoire centrée sur la fille d'un vieux paysan (interprété par Sjöström lui-même) qui peine à trouver un bon mari dans un pays où la majorité des hommes semblent être alcooliques, l'apogée mélodramatique du film, à l'origine du titre français, sera atteint lors d'une séquence de sauvetage périlleux dans une rivière en crue assez violente, avec d'énormes troncs qui détruiront la montre du patriarche et en feront un objet-symbole important.
L'image de l'alcool que renvoie le film est à la fois drôle (d'un point de vue contemporain) et tragique (du point de vue du film), drôle car on voit régulièrement le mari de la pauvre protagoniste faire le zouave aux quatre coins du village, entre courses de chariot à trois grammes et pétage de colonne vertébrale avec le sourire, tragique car c'est le charbon qui alimente le moteur mélodramatique du film autour de l'insatisfaction de cette pauvre Karin regrettant l'homme qu'elle avait initialement rejeté. "La Montre brisée" est avant tout l'occasion d'apprécier la description d'un mode de vie, celui d'une communauté rurale scandinave du XIXe siècle avec quelques-unes de ses coutumes. Les tenues traditionnelles, les vieilles carrioles, les mœurs un peu rigides, les intérieurs austères, etc. On note également un étonnant regard caméra final pour un film de 1920.