Quel beau Tavernier ! Souvent, je me dis que les films de Tavernier sont trop écrits. Mêmes dans ses mouvements de caméra, il est assez académique, il marche dans les pas des grands. Mais ici, presque chaque plan est magistral. Il y a quelques légères aspérités, mais on a ici une oeuvre de maître.

Et c'est un film de Science-Fiction. Un homme de télévision, Roddy (Harvey Keitel) se fait implanter une caméra et un micro dans le cerveau. Seule contrainte : il ne doit pas rester dans l'obscurité, sinon il risque de perdre la vue. Et cet homme va approcher une jeune écrivain, Katherine Mortenhoe (Romy Schneider), qui vient d'apprendre qu'elle avait une maladie incurable, alors que désormais presque tout le monde meurt de vieillesse. Katherine est approchée par une chaîne de télé, qui veut capturer ses deux derniers mois. Elle s'enfuit. Roddy la retrouve, elle ne sait pas qu'il la filme à son insu.

Bon, déjà le casting est un de ces improbables rapprochements de talents comme seul les films européens des années 1960-70 savaient en faire (aujourd'hui, ça communique bien moins) : Harry Dean Stanton, Max Von Sydow, et le couple vedette... Et ça marche plutôt bien. Mention spéciale à Keitel, l'homme-caméra, qui arrive à garder pendant tout le film un pincement au niveau du nez qui suggère un implant. Et pour une fois, pour une fois, Harry Dean Stanton est un gros salopard. ça change.

Les dialogues sont bien écrits, même s'il y a quelques digressions un peu gratuites, dans l'ensemble on va droit à l'essentiel, ce qui n'empêche pas les personnages d'être fort riches : Roddy est un être prêt à tout pour un bon plan de caméra, fasciné par l'immortalité qu'apporte la pellicule. Il est obsédé par le soleil, et doit veiller à ne pas rester dans l'obscurité (la scène d'arrestation où il invente un bobard pour ne pas être enfermé dans le noir...). Le personnage de Von Sydow, érudit reclus au bord de la mer avec ses livres et sa musique, est également fort attachant.

Au fond, c'est le thème de la maladie de l'héroïne qui n'est pas traité autant qu'il aurait pu l'être, mais quand on fait un film qui dénonce la tentation du trash, c'est normal qu'on essaie d'éviter cet écueil. Idem, la scène de la visite au père qui ne se rend plus compte de sa sénilité grâce à des médicaments est intéressante, elle aurait peut-être pu être développée un peu.

C'est de la SF un peu fauchée, mais crédible. Le film a été tourné en Ecosse, mais on ne mentionne pas de pays particulier. Bien sûr, il y a le côté critique des médias et de la téléréalité avant même que celle-ci n'existe : dans ce futur alternatif, des ordinateurs corrigent les auteurs s'ils utilisent deux fois le même procédé narratif, et les campagnes de pub reposent sur le teasing. Les gens sont donc deux fois plus affamés d'authenticité. Mais c'est aussi une réflexion sur le cinéma, cette pellicule qui se déroule pour figer le réel pour l'éternité dans une boucle. Il faut filmer pour comprendre. Mais cela éloigne de la vie pleinement vécue... Dilemme de créateur.

Les plans, disais-je. Il y a bien sûr ces extérieurs de bord de mer qui closent le film. Mais aussi ce jeu sur les écrans de télévision. Ou encore ce plan virtuose où la caméra suit Katherine descendant un escalier en la suivant par-dessus la rampe.

Je pense qu'au découpage, le film est encore plus intéressant si on se pose la même question que la femme de Roddy : "Où est la caméra ?".
zardoz6704
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le 8 août 2013

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