Il y a des artistes au sujet desquels je me dis que s'ils n'avaient pas la pratique artistique comme exutoire, ils finiraient sûrement à l'asile. Cronenberg en fait partie, pratiquement en tête de liste.
Non, mais sincèrement, quand on regarde sa filmographie, surtout dans ces années 80, on sombre dans la folie à l'état brut, avec des images qui frôlent l'obsession et des thématiques de malades.
La Mouche, c'est le film qui m'a fait découvrir le cinéaste canadien, et sans doute celui qui est responsable de mon amour pour le cinéma d'horreur (sauf que c'est quand même très rare de tomber sur des oeuvres de ce niveau). Bien entendu, c'est le remake d'un classique des années 50, La Mouche Noire, mais c'est un bon remake : au lieu de se contenter de moderniser l'histoire, Cronenberg adapte le scénario à ses problématiques personnelles. Là où, dans le film originel, la transformation se faisait d'un coup et on était confronté à l'horreur d'une situation inhumaine, ici, Cronenberg insiste sur les détails de cette transformation. Il nous en montre les moindres changements, petits à petits. ça commence par une plus grande capacité physique, et ça se termine par un dégueulis de suc gastrique pour pré-digérer sa victime. Cette attention maniaque aux moindres détails est grandement responsable de l'horreur qui se dégage du film : le réalisateur de Scanners ou Chromosome 3 à toujours apporté une attention particulière aux infimes changements. Sa caméra ne nous épargne rien, ni les ongles arrachés, ni les dents qui tombent, ni les mystérieux poils, etc.
Mais la force de La Mouche, ce qui en fait un film emblématique du cinéma de Cronenberg (la porte d'entrée idéale pour sa filmographie, selon moi), c'est qu'il ne se contente pas de faire de l'horreur pour le plaisir de montrer des trucs gerbants à l'écran. Chez lui, l'horreur se met au service d'une réflexion sur l'humanité, sur ce qui fait de nous des humains. Cronenberg explore les limites du genre humain et nous questionne sur ce qui nous constitue. Un humain, n'est-ce qu'un amas plus ou moins organisé de cellules ? Ne sommes-nous que chair et sang ? La scène de la téléportation loupée du singe met à nu le côté charnel des animaux. Or, l'un des symboles évidents du film est de rappeler que l'humain est un animal. Donc charnel. Mais sommes-nous autre chose que ce tas sanguinolent ? Qu'est-ce qui ferait de nous des êtres différents ? Les gênes qui nous composent ne sont-ils pas identiques avec d'autres espèces ?
En nous questionnant sur les limites de l'humain, Cronenberg n'hésite pas, comme dans d'autres films, à montrer le méta-humain. Après Videodrome, Scanners ou Chromosome 3, et avant ExistenZ, La Mouche nous montre une humanité en voie de transformation, de mutation. vers une réalité supérieure ? Le cinéaste nous rappelle que nous sommes le fruit d'une évolution et que nous évoluons nous-mêmes en permanence. D'ailleurs, Brundle pense bien qu'une des solutions à son problème est de partager ses gênes avec d'autres humains, de créer d'autres hommes-mouches.
La Mouche est sûrement LE film emblématique du cinéma de Cronenberg (plus tellement ce qu'il fait de nos jours, mais ce qu'il a fait pendant une grande partie de sa carrière), pas forcément le meilleur, mais le plus représentatif de ses obsessions et de son talent. La durée courte du film lui permet d'avoir constamment un rythme rapide : aucun temps mort. L'action commence dès la première scène, et le réalisateur ménage quelques ellipses pour éviter les répétitions. Les acteurs sont très bons, l'emploi des maquillages et autres machineries est absolument remarquable. Mais Cronenberg sait avant tout instaurer une ambiance. Son film est un véritable cauchemar éveillé qui marque d'une façon indélébile ses spectateurs.