Les films de morts-vivants en France sont à peu près aussi rares que les comédies dans le cinéma hongrois ou roumain : à quelques exceptions près (et pas franchement des plus réussies) tels que La horde ou Goal of the dead, c’est le néant total. C’est un fait : le zombie est mal-aimé par chez nous, apparemment incompatible avec le béret, la baguette et les César. S’emparant du livre de Pit Agarmen (pseudonyme et anagramme de Martin Page), Dominique Rocher entreprend donc de célébrer, de porter et de remanier le genre à l’échelle hexagonale avec la détermination farouche d’en faire davantage qu’un Walking dead sous-budgété, un [REC] parisien ou un hommage appliqué à Romero.
Sans que rien ne soit explicité (et c’est tant mieux), Paris se retrouve envahie de zombies en une seule nuit. Sam, qui a échappé à la contamination (et au carnage qui a suivi), se retrouve seul dans un grand appartement où, la veille, une fête battait son plein. Entre terreur et détermination, il va devoir s’organiser pour subsister, simplement tenir, et le film s’intéresse avant tout au côté purement pratique qu’une telle situation impose : explorer l’immeuble, le sécuriser, se défendre, trouver à manger, rationner, se chauffer, se laver… Plus proche d’un La route (pas de zombies dans celui-là, mais le même état d’abandon et de survie aux heures de la fin du monde) pour son côté dépouillé et introspectif que d’un Je suis une légende convenu, La nuit a dévoré le monde confronte avec intelligence la folie progressive d’un homme (le solo de batterie frénétique, tétanisant) à l’effondrement instantané d’une société, à l’individualisme soudain démultiplié, poussé à l’extrême, de nos villes cannibales.
C’est un film sur l’enfermement (de soi et contre les autres), sur la solitude et sur l’oubli, l’oubli de tout, de son identité, des valeurs et des limites, de ses amis et de sa famille (les cassettes de Sam, les photos de Sarah). Les zombies y sont, de fait, presque un prétexte, relégués au second plan (tout en étant une menace latente, évidemment fondamentale) et à quelques scènes "obligatoires", expéditives et viscérales. Rejetant toute tentation spectaculaire, raréfiant les dialogues, s’autorisant fugues musicales et touches d’humour, Rocher surprend sans cesse par la gestion maîtrisée de ses effets et celle des différents espaces de l’immeuble (des appartements à l’ascenseur en passant par le toit). Il a trouvé en Anders Danielsen Lie l’interprète idéal, tenace et fragile à la fois, de ce cauchemar humain, trop humain pour que l’on ne puisse s’imaginer qu’il renvoie, d’une certaine façon, à notre condition de survivant perdu dans la barbarie d’une civilisation déjà morte.
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