Ce n'est pas un mauvais film, mais pour autant, ira t-on jusqu'à dire qu'il est bon plutôt que simplement regardable ? C'est une fiction sérieusement conçue et réalisée, mais dont le problème principal est d'arriver sur un marché où le cadavre ambulant prolifère, et depuis longtemps. Au cinéma, à la télévision, on nous a déjà accommodé le zombi à toutes les sauces. Les morts-vivants de La nuit a dévoré le monde savent courir le cent mètre ? La belle affaire ! On a déjà vu des mort-vivants marathoniens dans Vingt huit jours plus tard, quinze ans plus tôt. Même devant les meilleurs scènes du film, il est rare de ne pas se rappeler tel ou tel film ou roman, des premiers Romero à Je suis une légende, autre grande référence explicitement citée. Très justement, un autre critique relève qu'un bon film n'a pas forcément besoin de renouveler le genre auquel il appartient, mais pour autant, à ce niveau de classicisme dans le traitement d'un sujet, il est difficile pour le spectateur de ne pas avoir un sentiment de redite, et le régime de la citation permanente gâche le plaisir qu'on cherche dans un film nouvellement sorti. Si les ambitions du film se bornaient à renouer avec une certaine tradition fantastique, c'est réussi - et les cinéphiles les plus conservateurs y trouveront leur compte -, mais force est de constater que l'apport original est particulièrement ténu.
Ce manque d'originalité scénaristique contraste avec la qualité de sa réalisation, appliquée et efficace. C'est l'un des mérites évidents du film d'être parvenu esthétiquement à ne pas paraître comme un sous-produit de la tradition anglophone du promeneur putréfié (j'en ai marre d'écrire zombi ou mort-vivant, du coup je vais tenter ce genre de périphrase, attention les yeux), alors même qu'il en revendique très clairement l'héritage. La principale originalité du film est peut-être d'ailleurs dans l'environnement où il transpose des thèmes et des situations devenues parties intégrantes du patrimoine fantastique : dans La nuit a dévoré le monde, le décor devient l'essentiel, tout simplement parce que si tout ce qu'il propose a déjà été vu ailleurs, on avait encore jamais vu - ou rarement - des piétons à ce stade de décomposition clopiner dans le Paris d'Haussmann, des Galeries Lafayette et du Sacré Cœur.
Cela n'a l'air de rien comme ça, mais le changement d'environnement infléchit pour beaucoup la réception qu'on peut faire d'une telle histoire. Seul survivant, isolé dans son immeuble parisien comme Robinson dans son île, le personnage éprouve un peu toutes les difficultés du jeune célibataire parisien moyen (moins la pression foncière, l'apocalypse a du bon) : comment s'alimenter sainement ? faut-il prendre un animal de compagnie ? Quelles relations entretenir avec ses voisins (surtout le type qui bave coincé dans l'ascenseur) ? Faut-il quitter Paris ? mais qui y a t-il ailleurs, le sait-on au moins ?... Sans être spécialiste du sujet, il me semble que si les films de Romero - plutôt ruraux ou à l'écart des grandes villes - explorait une certaine peur de l'écroulement ou de régression de la civilisation par le retour du primitif, le fait d'avoir situé ce film dans un hyper-centre change la donne, et en fait plus une critique ou une satire de l'évolution de la civilisation urbaine et de son caractère étriqué. Le personnage principal, rivé à son immeuble comme un champignon à son tronc d'arbre, incurieux du monde extérieur, représente une figure du repli sur soi dans les grands centres qui n'est guère sympathique.
Pour résumer, le film est bien foutu, mais à part son environnement et ce qu'on peut en tirer en se tirant un peu les cheveux, il apporte relativement peu au genre. Ajoutons qu'il est tout de même un peu ennuyeux. La fin du monde n'est pas drôle quand on la vit tout seul, sachez-le : on y passe son temps à chercher des boîtes de conserve, à faire de la musique expérimentale en tapant sur des objets de récupération, et à fixer les toits d'un oeil vide. Le film manque de perspective, comme son personnage principal. Pour la technique - et nous avoir donné un film de genre français qui ne soit pas tout à fait ridicule -, il mériterait un 7, mais du côté plaisir ressenti, je lui colle un 6, paf !