Bien qu'il ne soit pas le dernier film de sa carrière (Le Masque de la Méduse « sortira » trois ans plus tard), La Nuit des Horloges ressemble fortement au film testament, voir à l’œuvre posthume de Jean Rollin. Un condensé de l'univers et des obsession du cinéaste, émaillé de nombreux extraits des ses films, dans lequel le réalisateur semble s'interroger de façon post-mortem sur ce qu'il restera de lui et de son œuvre.
Le film raconte l'histoire d'une jeune femme qui hérite des biens de son cousin cinéaste et écrivain décédé. Au fil de ses lectures et de ses promenades dans la maison de campagne dont elle a héritée, le jeune femme se retrouve confrontée aux fantômes des récits de son cousin, à l'univers de ses fantasmes et de son imaginaire.
Il y-a un je ne sais quoi de profondément mélancolique et touchant dans La Nuit des Horloges. Car ses femmes errantes et ses esprits perdus qui craignent de disparaître définitivement avec la mort leur créateur sont aussi le signe d'un cinéma qui va incontestablement s'éteindre à jamais avec la mort de Jean Rollin. Que vont devenir les femmes vampires au seins nues marchant lentement lorsque Jean Rollin ne sera plus là pour les mettre si joliment en scène ? Restera t-il une place pour elles, ne serait-ce que dans nos souvenirs pour qu'elles continuent d'exister ? Ce sont quelques unes des touchantes questions que se pose le réalisateur à travers La Nuit des Horloges. Les nombreux personnages qui hantent la demeure de campagne de ce cinéaste mort sont tous interprétés par des acteurs et des actrices des anciens films de Rollin comme l'inamovible Nathalie Perrey (La Rose de Fer – Lèvres de Sang), Françoise Blanchard (La Morte Vivante), Dominique (Le Frisson des Vampires) , Maurice Lemaitre (La Vampire Nue), Sandrine Thoquet (La Fiancée de Dracula), Jean-lou Philippe ( Lèvres de Sang) ; comme dans une grande et belle réunion de famille éparpillée lors d'une veillée funéraire.
Entre une ballade gothique au milieu des tombes du cimetière du Père-Lachaise et un superbe décor de forêt calcinée Jean Rollin démontre une nouvelle fois qu'il possède toujours ce sens de l'ambiance et du décorum. Mais la scène la plus belle de La Nuit des Horloges reste la promenade de l'héroïne nue (Ovidie) dans le musée La specola à Florence. Ce musée est le seul musée au monde de cires anatomiques, et c'est peu dire que c'est un décor horrifique absolument FA-BU-LEUX. Corps ouverts façon autopsie, têtes coupées, fœtus, enfants dépecés, mannequin tristement réaliste gisant dans des sépultures de verre ; le décor possède une beauté hypnotique et il étonne autant qu'il est profondément perturbant. Jean Rollin filme cet endroit unique avec autant de fascination morbide que de poésie comme lorsque l'actrice Ovidie pose un délicat baiser sur le cercueil de verre d'un mannequin représentant une femme mourante. Les amateurs de la filmographie de Jean Rollin pourront également s'amuser à reconnaître les films dont sont issus les nombreux extraits qui viennent ponctuellement enrichir le récit et l'imaginaire de La Nuit des Horloges comme autant de songes.
Nombriliste et égocentrique, servi par des dialogues à la fois littéraires, philosophique et ésotérique du style "Si je ne suis pas vivante, je ne peux pas être morte , pourtant je vis dans l'imaginaire …. qui suis je ?", La Nuit des Horloges ressemble parfois à une grosse baudruche ésotérique et intellectuelle qui devrait rebuter la plupart des spectateurs. Mais la plus grosse déception vient du fait qu'il est difficile de ne pas noter et surtout regretter amèrement l'absence de Brigitte Lahaie au casting de cette œuvre somme de Jean Rollin, l'actrice ayant tout de même participé (Hors film X) à quatre films du réalisateur. La Nuit des Horloges reste un Rollin pur jus avec tout ce que ça implique de comédiens qui jouent faux sur un registre récitatif et théâtrale, de lenteurs soporifiques, d'effets spéciaux bricolés et de candeur poétique. Un film peut être uniquement réservé à ses fans mais le réalisateur ne pouvait pas se renier dans son œuvre testamentaire
Difficile de penser que La Nuit des Horloges puisse intéresser et encore moins captiver des spectateurs autres que les aficionados de l’œuvre de Jean Rollin. Les adieux au genre de ce cinéaste absolument unique dans le paysage cinématographique français et même mondial, reste toutefois aussi singulier que touchant. Le temps s'est arrêté pour Jean Rollin il nous reste maintenant pour les éternité les images fantastiques et vaporeuses de ses obsessions magnifiques. Plus personne n'aura sans doute la poésie de filmer des femmes vampires nues sous des voiles vaporeux déambulant entre les tombes comme seul Jean Rollin savait le faire et finalement c'est bien triste.