Le slasher est un sous-genre qui fit les belles heures du cinéma horrifique des années 80 et 90 avant de décliner progressivement dès le début du millénaire. Halloween est un des films qui, avec Black Christmas (sorti quatre ans plus tôt), marqua sa naissance. En 1977, John Carpenter se fait progressivement un nom dans le cinéma. Son deuxième long-métrage, Assaut on Precinct 13, vient de remporter un joli succès en salles et le réalisateur ne tarde pas à embrayer sur un nouveau projet. Le producteur Irwin Yablans lui propose de développer l'histoire d'une baby-sitter devenant la proie d'un tueur en série. Carpenter s'associe alors avec son épouse d'alors, la productrice Debra Hill, pour imaginer une intrigue basée sur ce vague postulat et se déroulant durant la nuit d'Halloween (un contexte original car peu exploité au cinéma à l'époque). Le jeune cinéaste a dans l'idée de réaliser un film d'horreur lorgnant sur le giallo (type de thrillers italiens des années 60 et 70) et les psycho killer movies des années 60 tels que Le Voyeur de Michael Powell et surtout le Psychose de Hitchcock qui reste pour le jeune réalisateur l'inspiration principale dans la conception de son film. Se mettant rapidement à l'oeuvre, Big John rédige un script d'une simplicité évidente mais dont la mécanique narrative, si elle recycle de manière flagrante certains éléments de ses modèles (tueur masqué, mises à morts stylisée, meurtre à la première personne), se joue habilement des poncifs d'alors en insufflant une dimension inédite à son intrigue. Le scénario terminé, Carpenter retient l'inconnue Jamie Lee Curtis pour le rôle de Laurie Strode, l'héroïne du film et proie toute désignée pour le tueur. Un choix totalement intéressé de la part du cinéaste, la jeune femme étant la fille de Tony Curtis et de Janet Leigh, qui incarna Marion Crane, la célèbre victime de Norman Bates dans Psychose. Charles Cyphers, un des acteurs fétiches du cinéaste (Assaut, New York 1997), revêt l'habit du shérif Brackett quand Nick Castle, grand pote de Big John, se contente de porter le masque "shatnerien" du tueur. Reste à apposer un nom de vedette au générique du film. Après avoir proposé le rôle du docteur Loomis à Christopher Lee (qui déclina poliment l'offre), Carpenter se tourne vers Donald Pleasance qui, intrigué par l'assurance du jeune cinéaste, accepte de tourner quelques jours devant son objectif. Ayant plus d'une corde à son arc, Carpenter s'occupera aussi d'assister son pote Tommy Lee Wallace (Halloween 3, Ça) au montage et finira même par ré-employer ses talents de musicien pour composer un score synthétique, d'où immerge un thème musical métronomique, immédiatement identifiable à sa rythmique binaire et entêtante. Bouclé en un temps record et avec un budget minimaliste (325 000 dollars), Halloween sort sur les écrans le 25 octobre 1978 et remporte un succès considérable. A tel point qu'il propulse définitivement la carrière de son réalisateur et de sa jeune vedette, Jamie Lee Curtis alignant par la suite les rôles à l'écran.
Bien sûr le film eut ses détracteurs, certains taxant alors Carpenter de réactionnaire sur les seuls arguments qu'un couple y était assassiné après avoir fait l'amour et que l'unique survivante du massacre était vierge. L'avenir ne donnera pas raison à ces critiques. Pendant plusieurs années, le film de Carpenter restera le plus rentable de l'histoire du 7ème art et se verra copié sans vergogne par toute une série de slashers plus ou moins mauvais.


Il faut dire que beaucoup n'avaient pas le talent de Big John. Dès les premières minutes de son métrage, le cinéaste instaure non seulement une ambiance parfaitement anxiogène (sa partition synthétique y apporte beaucoup) mais livre une véritable leçon de mise en scène. Le but avoué du réalisateur, dès l'exposition de son film, est de jouer avec le regard du spectateur. Preuve en est cette première scène, où la caméra épouse le point de vue du jeune Michael Myers dans un long plan-séquence filmé à la première personne. Tourné par un souci d'économie (du propre aveu du réalisateur), la scène nous révèle les origines meurtrières d'un boogeyman dont le réalisateur n'expliquera jamais vraiment les motivations. Interné dans un asile, Michael s'échappe 20 ans plus tard et revient dans la ville d'Haddonfield la nuit d'Halloween pour s'y livrer à une série de meurtres a priori aveugles. Tout d'abord simple observateur, le psychopathe reste un temps à la lisière des événements, sa silhouette menaçante et son allure monolithique se découpant souvent en arrière plan alors qu'il guette de loin ses futures victimes. A plusieurs reprises pourtant, Carpenter s'autorise à s'emparer du point de vue du tueur, collant au plus près à sa respiration inquiétante, comme s'il voulait essayer de perdre le spectateur en faisant de l'assassin du film, son principal référent (un procédé qu'il tirait là-aussi de Psychose). Les meurtres perpétrés par Myers sont aussi pour le jeune réalisateur l'occasion de faire du public le témoin privilégié des cachettes de son tueur. Impossible pour le spectateur de ne pas se douter que le psychopathe se cache sous la banquette arrière, sous un drap de "fantôme" ou même dans la penderie derrière Laurie (dans ce fameux plan où le réalisateur décompose le procédé du jump scare en révélant progressivement la présence de Myers, tapie dans l'obscurité derrière l'héroïne). Les ficelles sont prévisibles certes, et ils l'étaient déjà à l'époque. Mais la lente mise en place de l'intrigue et la tension graduelle qui l'accompagne inspirent une angoisse à laquelle répond inévitablement l'appréhension de chaque mise à mort. Carpenter sait préparer ses effets et se refuse également ici à se complaire dans une quelconque horreur visuelle, le cinéaste se détournant du moindre effet gore pour coller au plus près à son modèle hitchcockien (à l'inverse du second opus dans lequel Carpenter réalisera lui-même quelques scènes de meurtres bien sanglantes).


Mieux encore, là où d'autres réalisateurs de l'époque auraient certainement fait de Michael Myers un maniaque de plus, uniquement tourné vers des pulsions libidineuses et morbides, Carpenter suggère plutôt des origines surnaturelles à l'errance homicide de son personnage, donnant de la sorte, une forte dimension fantastique à son film. Pourchassé par le psychiatre qui le suivait alors qu'il était à l'asile, Michael Myers se voit alors au fur et à mesure de l'intrigue, investi de capacités surhumaines qui finissent par interdire la banale explication d'une folie meurtrière. Le docteur Sam Loomis (le nom est une allusion à un personnage de Psychose), pourtant scientifique de formation et esprit cartésien, le dira lui-même, le cas de Michael le dépasse. Incapable d'expliquer la motivation morbide du jeune homme, le toubib se résous à n'y voir que l'incarnation du mal. Il n'est alors pas interdit de voir en Michael Myers un énième cas de possession cinématographique, un personnage devenant l'instrument d'une volonté surnaturelle. D'autant que même plusieurs balles tirées à bout portant n'y feront rien, le tueur semble bel et bien impossible à arrêter.


Ce caractère increvable du personnage sera bien plus développé dans les suites du film. Ici Carpenter a l'intelligence de proposer des pistes surnaturelles sans jamais tenter de les expliquer. On touche alors à la parfaite définition d'un fantastique inquiétant, d'une hésitation irrésolue entre le surnaturel et l'explication rationnelle, dont John Carpenter s'apprêtait alors à devenir le maître à l'écran (il enfoncera le clou avec son film suivant, Fog). Jamais à un seul moment de son métrage, le réalisateur ne révélera les motivations meurtrières de son boogeyman. Les quatre mises à mort du film, perpétrés avec la plus grande froideur par le tueur, ne révèlent pas un seul indice de satisfaction perverse chez le personnage tant il reste impassible face au mal qu'il cause. Seule la pose mystérieuse de Myers devant une de ses victimes qu'il vient d'empaler contre un mur, révélera la possible fascination du personnage pour la mort et la fragilité de ses victimes. Tel un enfant à la curiosité malsaine, s'acharnant à trucider des insectes au sol, Myers semble dépourvu de la moindre empathie pour ses victimes. Décidé à entretenir le mystère autour du personnage, Carpenter nous autorisera à peine à entrevoir son faciès le temps d'un plan, conscient qu'il est préférable de l'humaniser le moins possible et de faire du masque du tueur, son véritable visage. Pour lui, Myers restera "the shape" : une forme dans la nuit, une ombre menaçante évoluant le jour à la périphérie des vivants et profitant de l'aplat des ténèbres pour frapper. Le cinéaste laissera au spectateur le soin de décider s'il s'agit d'un monstre aveugle et sans âme portant le masque de la parfaite inhumanité, ou simplement d'un fou aux pulsions morbides insatiables et resté prisonnier d'une psychose a priori incurable. A cette interrogation, Carpenter préférera bien sûr la première réponse, en suggérant par la disparition finale du corps du meurtrier, que celui-ci n'a a priori rien d'humain.


Quarante ans après sa sortie, Halloween reste une oeuvre majeure du cinéma d'épouvante moderne, la référence ultime du slasher movie. Parfait parangon d'un genre qu'il aura initié, c'est aussi un authentique film fantastique qui remonte aux racines-mêmes de la peur et témoigne ainsi du génie d'un cinéaste à la filmographie naissante. Nul doute que beaucoup ont depuis copié les codes dictés par Carpenter dans ce premier chef d'oeuvre et continueront de le faire, mais rares sont ceux à avoir réussi jusqu'ici à tutoyer l'excellence de leur modèle. A l'image de tous ces tueurs masqués qui hantent depuis le cinéma d'épouvante et qui n'arriveront jamais à occulter la terrifiante présence du tueur de la Toussaint.

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le 31 oct. 2018

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Buddy_Noone

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