[SanFelice révise ses classiques, volume 17 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379 ]
Contrairement à une idée reçue, on peut faire un film avec un budget ridicule et maîtriser ses effets. Ce film en est un bel exemple.
Incontestablement, l'aspect visuel du film est très travaillé. La volonté de jouer en équilibre sur les limites de ce que l'on appelait pas encore le gore est assez fine : on voit certaines choses (main coupée en train d'être mangée) mais le jeu des ombres ou des cadrages judicieux nous empêchent de trop en voir et, de ce fait, favorisent encore une ambiance glauque et morbide.
Certains plans, sur des forêts de bras et de mains qui tentent de se frayer un passage pour pouvoir arracher une tête ou un peu de chair, sont justes terrifiants.
La réalisation et le montage permettent d'éviter les pièges habituels du huis-clos : rythme plutôt rapide, changements réguliers d'ambiance, action permanente et diversifiée...
L'emploi de la bande son est là aussi assez significative du film : parfois, la musique trop forte et trop démonstrative plombe le film ; mais parfois, au contraire, les bruitages ressemblant à des radiations ajoutent à l'atmosphère angoissante.
On assiste donc à quelque chose qui, techniquement parlant, n'est pas réalisé avec les pieds, loin de là.
Bien entendu, si ce film marque le commencement de quelque chose d'important dans l'histoire du cinéma d'horreur, il faut voir qu'il s'inscrit d'abord dans une tradition. La musique tonitruante aux moments tendus, les effets parfois chocs, les animaux empaillés façon Norman Bates, on a de nombreux éléments classiques dans le récit de Romero.
Le déroulement de l'histoire en elle-même ne brille pas par son originalité non plus. L'enfermement de quelques personnes assiégées par des forces supérieures en nombre est quand même assez typique... du western ! Son emploi dans le cadre de l'horreur est plutôt bien vu et fonctionne bien ici, mais il ne permet pas de cacher l'aspect "western" du film : nous assistons à un fort Alamo. Il s'agit de contenir une invasion.
Et c'est là que le film atteint un niveau plus que sympa, voire franchement passionnant. Les questions sur l'explication politique à donner à ce film sont légion, et je crois que l'intérêt de La Nuit des Morts-vivants réside aussi dans le fait qu'il n'y a pas une réponse claire à formuler sur le côté allégorique.
Ainsi, comment expliquer l'aspect "concerté" de l'attaque ? Les Morts ont-ils un plan ? Ont-ils une conscience ? Forment-ils une communauté ?
Bien entendu, le problèmes des radiations, dont on parle vers le milieu du film, laisse suggérer une peur des bombes atomiques, peur qui a alimenté une bonne partie du cinéma fantastique étatsunien. L'importance de la cave et toute la discussion à ce sujet font fortement penser aux problèmes des abris anti-atomiques (je me souviens d'un épisode de La Quatrième dimension où les personnages se battent autour d'un tel abri, pendant une alerte nucléaire).
Le déroulement du film, et son final, laissent suggérer que le danger n'est pas seulement du côté des Morts-vivants. Ceux qui prétendent nous délivrer d'un danger peuvent très bien être aussi dangereux, voire même pire (une leçon que l'on ferait bien de retenir actuellement). Faut-il y voir la critique d'un impérialisme étatsunien qui prétend combattre le danger communiste et qui, pour se faire, instaure et soutient des dictatures militaires criminelles dans toute l'Amérique du Sud ?
Un plan, rapide, donne là aussi une piste de réflexion. Nous sommes encore en plein générique, aux premières secondes du film. La voiture traverse le cimetière où tout va commencer. Et la caméra s'attarde un peu plus que nécessaire sur un drapeau américain. Bienvenue en Amérique !