Je n’ai jamais été fan du commissaire Maigret, flic peu avenant et lymphatique, que ce soit en lecture ou par les nombreuses adaptations au cinéma ou à la télévision. Le plus fidèle dans l’esprit ayant été Bruno Cremer, mais on pense aussi au débonnaire Jean Richard qui faisait ce qu’il pouvait dans ces intrigues soporifiques et mollassonnes. Il n’y a guère eu que Jean Gabin («
L’affaire Saint Fiacre », « Maigret tend un piège ») qui ait sut lui donner du relief à l’homme, mais trahissant quelque peu le personnage de Simenon.
Je ne connaissais pas « ce Maigret » là, interprété par Pierre Lenoir, frère du réalisateur, au demeurant très convaincant. Mais comme souvent à cette époque, ce qui intéresse Jean Renoir et moins le sujet, que la manière dont il l’appréhende. Avec « La nuit du carrefour », on découvre une véritable pépite, certes un peu mal dégrossie, mais qui préfigure ce que sera le futur réalisateur de « La règle du jeu ».
Passant outre, l’intrigue assez légère, les décors intérieurs qui bougent à chaque mouvement d’acteurs, un découpage un peu décousu et des actrices qui semblent encore tourner pour le cinéma muet (l’une d’elle reste prostrée contre un mur, les yeux hagards pendant les trois minutes trente que dure la scène), on s’attache par contre fortement, sur la première partie, aux plans retenus par Renoir, dont certains tiennent, pour l’époque, d’une véritable audace.
La scène de rue au tout début est significative, très réaliste, où chacun s’exprime librement. Gendarme, garagiste, boucher et badauds se laissent aller dans le verbe (grivoiserie, racisme…) et le geste créant une atmosphère très populaire, proche du vécu. De même, la liaison de scènes se fait par les unes de journaux, autour d’un kiosque où l’on ne voit que les jambes des clients.
Bien trouvé également, le traitement réservé au carrefour d’Affrainville (lieu des crimes tournés en extérieur) qui donne au réalisateur quelques idées de mouvements et de perspectives intéressantes claquées sur le rythme de l’intrigue. A un moment nous ne sommes plus dans Maigret, mais dans « Scarface » avec une mémorable poursuite de voiture (à 50 à l’heure… mais quand même). Il est dommage que la seconde partie du film retombe dans une mise en scène plus théâtralisée et classique, notamment la fameuse scène où tout se dévoile.
Jean Renoir ne néglige pas non plus les références artistiques, et s’amuse, en bon ready-man et à la manière d’un Marcel Duchamp, d’une fontaine à eau dont le goutte à goutte dans un verre souligne une certaine tension, ou d’une roue de vélo qui se trouve en premier plan, apportant au moment une dimension originale, et par là-même artistique.
Ce film mériterait une restauration numérique, notamment sur l’important travail du son réalisé pour l’époque (musique, bruitage), qui participe à l’intrigue. Là malheureusement, l’altération du temps provoque une déperdition conséquente de la bande où la post synchronisation prend le dessus sur le reste, ce qui est dommageable.
« La nuit du carrefour » est un film méconnu de Jean Renoir qui mériterait pourtant toute l’attention des cinéphiles.