Premier Maigret sur grand écran, La Nuit du Carrefour sort la même année (1932) que Le Chien Jaune de Jean Tarride ; La tête d'un homme (dirigé par Duvivier) sortira l'an suivant. La Nuit appartient aux débuts de Jean Renoir et se situe entre La Chienne et Boudu sauvé des eaux, ses deux premiers grands succès, avec Michel Simon. Cet opus de la première période française de Renoir (il sera exilé aux USA dans les années 1940) dépareille avec l'ensemble de son œuvre ; le rapprochement avec l'univers de Simenon, plutôt brutal y compris dans ce qui lui tient de philosophie, était de toutes façons déjà une curiosité.
Le résultat est assez étrange et surtout bancal, les deux s'encourageant. Un peu brouillon et brillant sur tout, le film se laisse difficilement appréhender, l'intrigue semble désarmée quand elle n'est pas simplement opaque ou trouée pour entretenir quelque flou artistique. L'atmosphère est saisissante quoiqu'elle repose sur un minimum d'éléments ; un petit théâtre mal accordé et d'autant plus hystérique. L'empreinte de Simenon se ressent très fort, mais flotte dans l'air et imprègne les images, semblant presque bannie des devantures plus rationnelles.
La séance est très courte (1h15) mais mollassonne, manquant de fluidité ; ce serait assommant si elle n'était traversée par tant de détails esthétiques notables (les plans de nuit, en voiture, certaines vues d'ensemble). Le charme cru de l’œuvre de Simenon associé aux pédanteries de Renoir donne un mélange venimeux et sans grande énergie, animé par des bizarreries de montage. Cette balade de fossiles endurcis et mystérieux a un côté grotesque, un 'esprit' excessif et absent à la fois – ambivalence mise en exergue par les jeux appuyés des comédiens. Un raffinement boueux incomplet, entre gouaille laconique et glauque impuissant.
Les débuts de Maigret sont donc anodins par rapport à la trilogie de 1958-1963, où Jean Gabin interprète le commissaire (Maigret tend un piège, L'affaire Saint-Fiacre, Maigret voit rouge). Les personnages manquent d'ampleur, l'enquêteur en premier lieu : Pierre Renoir (frère du réal) n'a ni charisme ni magnétisme, ni quoi que ce soit de bien distinctif hormis son côté taciturne. À sa sortie le film est boudé et ne sera commenté que tardivement. Toutefois les artisans de la Nouvelle Vague incluront cet opus dans leurs références, Godard allant jusqu'à y voir « le seul grand film policier français, que dis-je, le plus grand film d'aventures ».
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