Ce film a été une claque!
Une immense et définitive claque aux alentours de 10 ans.
Depuis (à peine quelques décennies), le film m'impressionne toujours autant sur bien des points.
Charles Laughton, grand acteur s'il en fut (et qui n'était pas non plus étranger au cabotinage), signe ici son seul et unique film. J'ai rarement vu le noir et blanc utilisé à son maximum de la sorte.
L'attention portée à l'image peut étonner de la part d'un acteur mais manifestement Laughton traite son sujet comme un médium visuel à part entière.
C'est l'un des films les plus beaux que j'ai vu de ma vie.
Chaque image est comme une peinture à l'encre à la fois métaphorique et réaliste. Je ne suis pas suffisamment technicienne pour analyser ça (avec brio ou pas) mais c'est en tout cas mon ressenti.
Le scénario est sobre et classique. Un faux pasteur légèrement fanatique et pas si agneau de lait que ça qui séduit une jeune veuve, mère de 2 enfants, pour récupérer l'argent volé par son défunt époux. C'est simple, c'est court. La pauvre dinde séduite par le beau parleur dont on sait qu'il n'est pas très net sur les bords et les enfants, symboles d'innocence pris au milieu.
C'est beaucoup plus subtil au final. Certes Harry Powell séduit et domine Willa aussi bien physiquement que psychologiquement. Le premier sous-texte est sensuel. Laughton filme Powell avec lascivité et fluidité. Malgré l'impuissance sexuelle avérée de celui-ci et son rejet de tout désir charnel, Laughton en fait une bête.
Si cette image de la femme n'est pas très reluisante : la pauvre petite chose qui a besoin d'un homme à tout point de vue, Laughton lui donne en contrepoint le personnage de Rachel Cooper qui recueille les enfants. Elle apparait 100 fois plus frêle que Willa mais sa force est indéniable. Jusqu'au bout elle ne lachera rien et repoussera le "démon".
Le terme est approprié, le thème religieux étant immanquable. Powell est très clairement le serpent qui envahit Eden et corrompt tout ce qu'il touche ou tente de corrompre. Le loup déguisé en agneau qui entre dans la bergerie (la métaphore est sans fin). De son côté Rachel est comme un ange salvateur, comme Gabriel, protecteur des femmes et des enfants. Elle offre un asile aux petits en fuite dans lequel Powell ne peut entrer, un sanctuaire. Elle symbolise la femme mure, qui a vécut et ne laisse pas facilement bernée par un homme charmeur mais aussi une femme profondément croyante mais sans chichis, sans grande déclaration de foi, contrairement à Powell qui crie sa foi et ses convictions haut et fort mais les vit de façon fausse et déviante. Un Tartuffe meurtrier en somme.
Pour autant, le film n'est pas une fable biblique ou une leçon de catéchisme, Dieu merci!
Le film est par ailleurs une adaptation d'un roman, inspiré de faits réels (un tueur en série dont je ne me rappelle pas le nom).
S'inspirant du cinéma expressionniste allemand, Laughton construit un film double, jouant sur les dichotomies : le bien/le mal, les enfants/les adultes, le jour/la nuit, homme/femme, ombre/lumière et bien sûr love/hate (jamais métaphore n'aura été aussi cool). C'est dans cette inspiration qu'il choisi son noir et blanc sublime et parfait. La lumière et les ombres semblent s'affronter à l'écran dans un combat subliminal.
Il use beaucoup de métaphores visuelles, notamment pour le personnage de Powell dont la sexualité réprimée qui s'exprime par le meurtre est résumée par son couteau à cran d'arrêt (la scène dans le bar est édifiante).
Un autre sous-texte est celui du conte fantastique ou du récit édifiant.
Le film est raconté comme un avertissement par Rachel. Il faut se méfier des faux prédicateurs, des beaux parleurs. Rachel enseigne à ses protégés que professer trop haut sa foi ou ses convictions quelles qu'elles soient et les imposer aux autres n'est pas une bonne chose.
C'est une leçon valable et bien nécessaire encore aujourd'hui. Elle leur enseigne aussi à ce méfier de ceux qui se parent ostensiblement de toutes les vertus.
L'histoire racontée par une Rachel omnisciente, tel un narrateur écrivain, en devient sujette à caution quant à la véracité des faits. On ne met cependant jamais en doute la méchanceté de Powell et la bonté de Rachel.
Laughton accentue cette omniscience en emmenant la caméra partout et le spectateur avec lui. On est jamais laissé dans le doute du destin tragique de Willa, par exemple, sirène emprisonnée dans la rivière.
Il use beaucoup d'une imagerie fantastique, le voyage des enfants en fuite rappelant singulièrement la fuite de Blanche Neige dans le long métrage Disney.
Côté casting, Laughton a choisi à la perfection.
Après avoir proposé le rôle à Gary Cooper (qui le refusa et malgré toute l'affection que je lui porte, je ne le vois dans le rôle de Powell), il choisit Robert Mitchum, acteur ayant déjà fait ses preuves depuis des années, et dont c'est là le meilleur rôle. Il oscille entre calme et agitation et transmet parfaitement la complexité du personnage. Il est d'une intensité rare.
Pour Willa, il a choisi Shelley Winters, jolie fille du cinéma au talent indéniable (voir Une Place au Soleil), abonnée aux rôles de pauvre fille. Ici, sa pauvre fille prend toute son ampleur à la fois pitoyable et très énervante.
Enfin pour Rachel, c'est la légende vivante (à l'époque) Lilian Guish qui lui donne ses traits délicats. Grande actrice du muet, elle se coule forcément à merveille dans ce film très visuel et en noir et blanc. Elle compose subtilement une femme dure mais au coeur tendre. Son charisme est à la hauteur de celui de Mitchum et l'affrontement est de haut vol.
Le petit garçon est quant à lui interprété par Billy Chapin dont je n'ai pas suivi la carrière je l'avoue mais qui tient son rôle avec conviction face à 3 acteurs d'exception.
En conclusion, mais il y a tellement à dire, ce film ne vieillit pas. Il a peu convaincu à sa sortie malheureusement et Laughton, échaudé, n'en réalisera plus aucun. Il a gagné au fil des ans ses lettres de noblesse, devenant un exemple, une oeuvre incontournable du cinéma.
Mais si l'exécution est brillante, le film se suffit à lui même en tant que que film. Hors de toute considération littéraire ou psychologique, on suit l'aventure de ses 2 enfants, on veut savoir où est caché l'argent, on veut que Rachel gagne et que Powell soit découvert. Carton plein!
Ce film est n° 7 dans mon top 10.