La Nuit du Chasseur fut un échec critique et commercial en 1955 à sa sortie avant de devenir au fil du temps le film culte que l'on connait.
Pourquoi ? Je me suis posé la question en le revoyant récemment. Et il m'a paru évident que le film de Charles Laughton ne cesse de nous prendre à contre pied, nous spectateurs et de proposer des chemins de traverse imprévus. De fait, il réécrivit les 300 pages de scénario rédigées par Davis Grubb l'auteur du roman. Encore aujourd'hui nombre de personnes qui découvrent ce film sont déconcertées par les choix opérés par le réalisateur.
Commençons par l'histoire. Le film s'apparente a priori à un thriller. Le pitch : un serial killer écume la campagne des années 1920 à la recherche de veuves à détrousser et à tuer. Il se voit opposer une résistance farouche par deux enfants et une grand mère. Or le traitement que Laughton réserve à ce scénario n'est jamais celui d'un film à suspense ou d'une enquête mais celui d'un conte pour enfant. L'ouverture se fait sur une narration de type "Il était une fois..." avec Mamie Cooper mettant en garde de petits enfants contre les loups ravissants et ravisseurs. Mitchum s'apparente pendant tout le film davantage au loup des contes de Grimm ou de Perrault qu'à un psychopathe crédible. Rachel Cooper et sa petite troupe de gamins abandonnés ressemblant à s'y méprendre à Maman Chevreau et ses petits.
Poursuivons avec le méchant. Là aussi les choix de Laughton déconcertent. Si Mitchum alias Harry Powell est particulièrement convaincant dans la première partie du film, la direction d'acteur que lui impose Laughton pour la deuxième partie du film va à l'encontre de nos attentes habituelles en matière de méchants. Normalement, dans tout film avec un méchant digne de ce nom, il y a surenchère dans la nature des exactions de ce dernier de sorte que notre ressentiment à son encontre suit une courbe ascendante jusqu'à la résolution, véritable climax du récit, où l'on voit le méchant spectaculairement vaincu par le ou les bons. Rien de tout ça ici. Mitchum est certes inquiétant lorsqu'il rôde autour de la maison de Rachel Cooper mais la façon dont il est roulé par les enfants, rabroué par Rachel Cooper et enfin définitivement vaincu comme un vulgaire chenapan le rapproche bien plus du pauvre loup libidineux de Tex Avery que des tueurs sanguinaires du Film noir. L'attendrissement final de John pour Powell dans une réminiscence de l'arrestation de son père n'est pas la moindre surprise de cette histoire.
La Nuit du Chasseur n'est pas tant le procès d'un méchant que celui d'une société. Sont bien plus mis en cause par l'ironie ou le cynisme de Laughton ces juges qui manquent visiblement de jugeote, ces bourreaux qui dinent en famille après avoir officié, ces pères qui abandonnent leurs enfants en leur faisant croire qu'une liasse de billets les remplacera, ces voisins aussi pressés de voir la veuve revenue dans les bras d'un homme de dieu mais tout aussi pressés de l’exécuter... Laughton, lui même agnostique, ne cesse d'égratigner la morale bien pensante et la manipulation de la religion. Son méchant - pourtant superbement interprété par Robert Mitchum - n'est qu'un pion autour duquel l'ensemble des acteurs de la société se positionnent. Et dans cette affaire, seuls les enfants et dans une certaine mesure Rachel Cooper, semblent être capables d'intégrité.
Donc oui, toutes les qualités qui ont déjà été soulignées sur ce film : photographie extraordinaire, mise en scène somptueuse et interprétation géniale de Mitchum et Gish sont indéniables mais ce sont aussi les défauts du film, du moins ce qui nous dérange, qui font de La Nuit du Chasseur un film vraiment différent et donc vraiment intéressant.
Personnages/interprétation : 10/10
Scénario/histoire : 10/10
Mise en scène/réalisation : 10/10
10/10