"Il y a le mal écrit Ricœur, il y a même en l'homme une propension au mal qui atteint le cœur de sa liberté, obligeant l'éthique à prendre la forme contraignante d'une obligation. Laughton part d'une même conviction, portée ici par la figure de Powell, pasteur maléfique qui incarne le mal dans la forme même d'un moralisme subverti, contaminant ses victimes comme la foule hurlante qui tente de le mettre à mort.
La nuit du chasseur est un poème de cinéma, conte moral sur l'enfance et les enfants dont il est dit, à la toute fin du film, qu'ils résistent et qu'ils supportent. On peut aussi y voir un conte psychanalytique, suivant l'itinéraire d'un parricide, celui qui avait pris la place du père absent, ou encore parricide d'un Dieu vengeur, incarné en Powell, et dont il faut se débarrasser.
Au-delà de ces conflits d'interprétation, ce film tend à une manière de perfection, et touche à ce principe même de la dualité morale, présente en tout homme comme elle est écrite sur les poings fermés de Powell.


L'ouverture du film, monologue d'un Powell fier de ses crimes et dialogue avec un Dieu dont il tend à prendre la place, pose immédiatement le personnage comme figure du mal radical. Ce mal est d'emblée opposé à la figure inverse, celle de John promettant à son père de ne jamais révéler le lieu où il a caché son magot - la poupée véritable objet transitionnel du film.
L'ensemble de la première partie se présente comme le déploiement des possibilités du mal: mépris pathologique de la femme, vision des enfants comme des agneaux - dans l'acception sacrificielle du terme -, perversion de la sexualité interdite à la nouvelle épouse, violence de plus en plus directe et physique envers John et Pearl, manipulation de tous, mensonge permanent.
Laughton élabore ainsi, avec une remarquable économie de moyens, une sorte d'anthologie maléfique, qui s'interrompt brusquement avec la fuite des enfants.
Soudain, le rythme du film se ralentit, il se fait errance nocturne, obéit à la temporalité du fleuve, à celle du nature vivante, comme si elle accompagnait de sa vitalité l’itinéraire des enfants vers leur survie. Celle-ci apparaît, avec le lever du jour, en la personne de Rachel Cooper, qui sauve les enfants comme la fille du pharaon sauva Moïse du fleuve. Partageant avec Powell un même mépris des femmes et un caractère moralisateur qui ne cesse d'inquiéter, Rachel Cooper défend les enfants contre le retour du mal, retour aussi d'un père dans les bras duquel Pearl se jette, alors même qu'il est entrain de mourir, comme si en sa mort s'accomplissait en même temps le parricide nécessaire et la fin d'un amour malheureux. Répétant alors la scène original, John rend l'argent à Powell, démontrant en cet acte qui tend à identifier Powell à son vrai père que toutes les formes de paternité sont définitivement abolies.


Laughton, grâce à l’ambiguïté maintenue au long du film entre l'innocence et la malignité, entre les différentes figures du père, entre la moral et le moralisme, empêche tout triomphalisme malsain. Plus encore; le spectateur ne cherche pas à tirer un enseignement théorique de cette histoire - ce qui tuerait la beauté du film -, pris dans les rets d'une photographie somptueuse, culminant dans cette image onirique d'une femme, morte, immergée au volant de sa voiture dans ce fleuve finalement salvateur."


Olivier Dekens

aerovana
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le 22 août 2019

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