Plusieurs fois durant le visionnage du film, ma copine s'est cachée sous la couette en disant "C'est pas possible, je peux pas regarder. C'est tous les cauchemars qu'on a enfant dans un film."
Je pense que quasiment tout a été dit sur ce chef d'oeuvre, et sa découverte tardive m'incite d'autant plus à la modestie dans ce billet.
Ce qui m'a frappé en premier, c'est la modernité de la réalisation. Je suis certes loin d'avoir vu tous les films américains des années 1950 mais tout de même... Ces plans aériens improbables, ce montage "off-beat", ces raccords presque aléatoires entre plans serrés et plans large, sont des plus surprenants pour l'époque. Tout comme au visionnage de "La soif du mal" d'Orson Welles, j'ai eu l'impression d'entrer dans un laboratoire d'expérimentations cinématographiques, où la forme pure ne prenait jamais le pas sur les sentiments mais les accompagnait d'autant mieux. Parmi ces sentiments, un prédomine : l'angoisse.
Car ce film a été pour moi un cauchemar éveillé. L'intrusion de ce révérend psychopathe au sein d'une famille endeuillée est filmée de toutes les manières, avec une sorte de gradation insoutenable dans l'horreur. Tantôt mielleux, tantôt violent, Robert Mitchum offre une prestation ahurissante, déjà maintes fois saluée. L'incroyable beauté de l'image jure avec l'atmosphère de plus en plus irrespirable du film, qui atteint pour moi son apogée durant l'atroce scène de la nuit de noces. Les codes du film noir reviennent souvent, comme ces inquiétants jeux d'ombres chinoises et un suspens maîtrisé tout du long.
Lorsque la "traque" débute, le film prend un tournant onirique, presque fantastique. Je pense notamment à ces scènes en barque, à la réflection des maisons de la campagne américaine sur l'eau, à la mise en valeur de la faune. Le décor et l'atmosphère ne sont pas sans rappeler "L'Aurore" de Murnau. L'apparition du prêtre chevauchant au loin dans la lande est quasi-mystique. En à peine une heure de film, Charles Laughton a déjà cassé les barrières entre plusieurs genres cinématographiques, nous maintenant haletants et angoissants dans une sorte de flou inconfortable et pesant.
Le film redeviendra malheureusement (à mon sens) plus terre à terre dans sa dernière partie et nous offrira le personnage de Rachel Cooper, aussi attendrissant que badass. Son face à face chantant en ombres chinoises avec le révérend est d'anthologie.
Finalement, pour entrer dans le message plus socio-religieux du film, ces deux personnages sont les parfaits opposés : le révérend Powell, charismatique et séducteur, prétexte sa foi pour assassiner les tentatrices, purifier le monde du stupre, là où Cooper, froide et sèche de prime abord, protège les faibles et les nécessiteux au nom de cette même foi. Powell est la conséquence la plus vile de la misère de cette époque alors que Cooper en est le palliatif.
Cette vision manichéenne, exacerbée à la fin du film sera mon seul bémol. Mais la foi intervient également de manière plus fine, à travers les comportements de ces campagnards américains désoeuvrés, susceptibles de boire les paroles du premier prêcheur venu avant de se retourner contre lui. La création et la destruction des idoles éphémères dans l'Amérique de la crise des années 1930, voici une lecture moins "premier degré" qui me convient mieux.
"La nuit du chasseur" est un superbe film, aussi terrifiant que fascinant. Et incroyablement moderne.