Je poursuis ma découverte de la filmographie de Georges Lacombe avec ce La nuit est mon royaume, qui s’est ma foi révélé une bien belle surprise ! Le pitch ne me disait franchement rien (je suis pas très branché handicapés), mais à défaut de pouvoir mettre la main sur ses deux collaborations avec Fresnay que je n’ai pas encore vues, je me suis du coup rabattu sur celui-ci… et j’ai été bien inspiré puisque, finalement, le film m’a pas mal parlé.
Comme à peu près tout le monde je pense, devenir aveugle est pour moi un peu une hantise (pour l’homme comme pour le cinéphile !) et je crois pouvoir dire que je préférerais perdre n’importe quel autre sens (ou membre) plutôt que la vue. Alors, Dieu merci, je ne suis pas cheminot comme le personnage de Jean Gabin et la probabilité que je devienne aveugle suite à un accident du travail est relativement faible, dans la mesure où je passe mes journées le cul vissé dans un fauteuil et les yeux rivés devant un écran (et du coup, je réalise en écrivant ces derniers mots que je m’avance peut-être un peu trop et que peut-être que moi aussi, après quelques décennies d’écran quinze heures par jour, la nuit sera mon royaume) ; mais je me suis pas mal reconnu dans le personnage de Jean Gabin dans sa réaction face à ce drame.
Affligé de son sort, le type s’enferme (se renferme) dans sa chambre, s’isole… par pudeur, par fierté, par horreur à l’idée de susciter la moindre pitié de la part de ses proches. Le personnage a une certaine idée de la dignité telle qu’il refuse d’être un boulet pour les autres et d’inspirer de la commisération à sa famille et à ses amis… la moindre attention l’humilie, donc l’énerve, et, évidemment, la simple évocation d’un séjour dans un centre de rééducation pour aveugles le fait bondir. Et, aussi con que ça puisse paraître, alors même que le film montre que ce comportement est une impasse, c’est exactement ainsi que je me vois réagir s’il m’arrivait la même chose.
Et la détresse du personnage (incarné par un Jean Gabin habité) est vraiment touchante. On y croit, c’est beau. Le film a d’ailleurs le bon goût de ne jamais verser dans le misérabilisme (un écueil de taille lorsque l’on traite d’un sujet pareil) ni dans l’angélisme, mais d’être simplement touchant et tendre avec ses personnages. Qui sont d’ailleurs tous bienveillants… même celui qui aurait pu être présenté comme un vulgaire salopard (à savoir le fiancé de la nana que veut serrer Jean Gabin – rôle ingrat s’il en est) n’est même pas un mauvais bougre. Le type est évidemment moins charismatique que Gabin (mais comment lui jeter la pierre ?) et va rager comme un cochon en voyant son amoureuse craquer pour un aveugle, mais il ne se montrera jamais malveillant. Même le coup (au moral) qu’il mettra à Gabin se fera par maladresse et non par méchanceté.
Un film tendre et bienveillant, donc, mais aussi juste cruel ce qu’il faut (moi j’aime bien la cruauté), puisque le spectateur apprend lui assez vite la terrible vérité sur le personnage, alors que lui va l’ignorer pendant presque tout le film et ne l’apprendre que vers la fin. Ce qui rend son comportement et ses réactions encore plus tristes et vains. Le seul espoir auquel le mec se raccroche et qui lui sert de prétexte est un mensonge… et je trouve ça bien de ne pas en avoir fait un twist tout pourri pour le spectateur mais de lui révéler bien avant le personnage. Le film y gagne, à mon avis.
Bref, le film fait plutôt bien les choses. Convoque pas mal de sentiments assez forts… C’est pas mal du tout. Si je voulais chipoter, je dirais que l’intrigue secondaire de la bonne sœur qui devient elle aussi aveugle est un peu gros (pour un intérêt limité) et qu’on aurait pu s’en passer. Mais puisque c’est bien le seul truc que j’ai à reprocher au film… ça va.