On pourrait très vite condamner La nuit nous appartient en y fustigeant une copie presque conforme de The Yards, le précédent film de James Gray. Mêmes enjeux d’une fratrie (thème qui plus est déjà largement exploité dans Little Odessa) divisée, du monde criminel (jusqu’à un nouvel emprunt au casting du Parrain, après James Caan, ici Robert Duval), du changement de camp, même nuit constante sur une ville étouffante… Pourtant, à bien y réfléchir, les légers déplacements opérés par le cinéaste jouent en faveur de cet opus.


A plus clairement différencier les partis (deux frères, l’un gangster, l’autre flic), il prend le risque d’une caricature qui va en réalité épaissir des personnages. Certes, la tendance des dialogues à sur-expliciter les enjeux peut s’avérer un peu fatigante, et certains traits pour bien marquer la tragédie restent épais. Mais Gray lâche aussi la bride à ses caractères, servis par des comédiens à la présence magnétique : du sexe (fantastique scène d’ouverture mêlant Blondie, Eva Mendes & Joaquin Phoenix), de la violence, de la haine, et, surtout, de la défaite.


Comme souvent chez Gray, les stratégies sont conduites à l’échec. L’intrigue ici présente n’y échappe pas, et c’est dans ces béances que se jouent les motifs les plus intenses du film : échec à définir le rôle de chacun, à garder une femme, à se garantir la protection d’un père, qu’il soit adoptif ou non. Les repères se dissolvent un à un, et cette recherche d’un ordre sur les cendres du précédent occasionnent des évolutions moins grossières qu’auparavant.


Cette quête familiale, moins soumise à une écriture dramaturgique, gagne d’autant plus en crédibilité qu’elle s’accompagne d’une mise en scène qui gagne elle aussi en ampleur. S’il maintient cette adoration pour la nuit, les intérieurs saturés d’une foule familiale ou communautaire, James Gray voit aussi plus grand : sa façon de filmer le night-club, par exemple, témoigne d’un lyrisme nouveau, et cette fougue se retrouve dans les scènes d’action, particulièrement bien menées : l’infiltration dans le labo de drogue est ainsi d’une tension redoutable. De la même manière, la course poursuite possède une véritable singularité : pluie, nuit, absence de musique, bruitage obsessionnel des essuie-glaces exploitent le regard rêche du réalisateur au profit d’un découpage extrêmement efficace. Le recours au flou et aux limites de la vision sera ré-exploité dans la scène finale, très belle traque où le graphisme des joncs secs envahis par les fumigènes magnifie comme il se doit les enjeux dramatiques.


Film de la maturité, La nuit nous appartient montre un cinéaste en pleine maitrise de ses moyens : la conclusion d’une trilogie tragique, synthétisant la puissance émotionnelle du premier volet et l’amplitude visuelle du second.


Une maturité d’autant plus prégnante que Gray lui-même semble avoir compris que ce point d’équilibre n’avait pas besoin d’être davantage exploré, ayant depuis changé radicalement de registre.


(7.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_James_Gray/1446721

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le 15 sept. 2016

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Sergent_Pepper

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