La jeunesse de France a le vent en poupe dans le cinéma français. À l’écart des projecteurs, sacrifiée par la crise économique (Leurs enfants après eux, L’Amour Ouf) dans des coins reculés où la tradition irrigue encore une culture singulière (Animale, Les Pires), s’éclatant dans des compétitions virilistes (Rodéo, Vingt Dieux), elle rechante les désillusions de ses aînés avec une vigueur éclatante.
Le regard des cinéastes qui la filment n’a pas grand-chose à voir avec le surplomb naturaliste auquel on avait pu nous habituer. Il s’agit moins d’empathie que d’un partage, une voix à donner à un milieu qui relève souvent de l’enfance et du souvenir personnel. Le premier long d’Antoine Chevrollier répond exactement à ce programme, où il renoue avec un terrain de moto cross de son enfance, extension de la cour de récré et réservoir à fantasmes pour la construction des mâles où les émotions exacerbées se diluent dans la poussière et les sauts.
Dans ce récit initiatique où l’amitié est centrale, le personnage de Willy a ceci d’intéressant qu’il semble surtout l’allié des histoires des autres. Sa mère déménage pour refaire sa vie avec un nouveau compagnon, son meilleur ami s’éclate à moto et porte un secret ingérable, une nouvelle relation lui donne aperçu de la vie étudiante dans la ville d’à côté. Personnage principal et secondaire à la fois, Willy contemple un monde figé et les grandes failles qui peuvent soudain le déchirer. Chevrollier ne cherche jamais à dresser des camps et prendre un parti, chacun avançant comme il le peut avec la culture dont on l’a nourri, ses élans (le désir, la soif de victoire en compétition, l’accomplissement par l’arrachement au territoire natal) et ses peurs. Le cast est impeccable, du côté des adultes (Damien Bonnard royal, comme à chaque fois, mais aussi Artus et Florence Janas) comme des adolescents (Sayyid El Alami, déjà remarquable dans Leurs enfants après eux, et Amaury Foucher).
Il ne faut pas trop en dire sur l’intrigue, qui, sans chercher à produire des thématiques nécessairement nouvelles, fait bouger les lignes d’un petit monde fermé sur lui-même, et voit l’impuissance verbale se transformer en violence ou en fuite en avant. Les comédiens excellent tous dans cette partition tendue, peuplée de fantômes (belle scène de l’hôpital abandonné) et d’illusions, habilement distillée sur trois générations très proches : le père, le jeune adulte sur le point de l’être et l’adolescent. La mise en scène se met ainsi au diapason d’émotions contrastées, suivant les montagnes russes d’un terrain de moto cross où l’on côtoie les sommets du lyrisme (avec l’inclusion désormais incontournable d’un standard de la chanson française, ici Véronique Sanson), l’ivresse de la vitesse, la pression du coach et le choc du retour sur la terre poussiéreuse.
Au terme de cette course où Willy aura su entrer en contact avec tous les autres, les comprendre, les tolérer et les épauler, l’horizon se dégage pour une destinée qui serait la sienne, et pour d’autres films de ce cinéaste très prometteur.