Je suis loin d'être passionné par la nourriture de manière générale alors j'appréhendais un peu la découverte de ce Prix de la mise en scène à Cannes. Ma crainte principale, c'est que ça ne me donne pas faim, que ça ne soit pas si sensoriel que ce que la critique a pu en dire. Je me disais que peut-être que la cuisine était quelque chose qui parlait davantage à ces gens qui ont aimé le film qu'à moi. Et bien finalement, on se prend assez vite au jeu dans ce film où sur 2h15 il doit y avoir 1h30 de plans sur des plats en train de mijoter, des ingrédients en train d'être travaillés ou plus simplement sur des gens en train de manger.
Voir le film au cinéma a dû jouer un certain rôle dans l'équation. L'écran est très grand et le son est à la fois très fort et très propre, donc on est immergé dans l'ambiance de cette cuisine et des gens qui aiment manger des mets exceptionnels. C'est sur cela que le film s'attarde, c'est ce qui fait son originalité et c'est une idée assez rare au cinéma de suivre un type qui veut juste les meilleurs plats possibles et qui se retrouve avec une cuisinière dont il est épris et qui a soudainement des soucis de santé.
Cette relation est traitée avec pas mal de pudeur et de bons mots. Néanmoins, les deux personnages ne sont pas sur un pied d'égalité et je ne sais pas trop ce qu'on peut tirer de ce choix de traitement qui passe justement par la mise en scène. Eugénie se retrouve quelquefois nue et pas Dodin par exemple. Elle est un objet de désir et se retrouve souvent vulnérable à l'écran, mais lui sera vulnérable uniquement à travers ses répliques et vers la fin du film. Si ce dernier ne cesse de la complimenter tout le long du film avec des dialogues pas toujours très habiles, en trame de fond ça raconte finalement la relation entre une "employée" et son "patron" sans trop oser mettre les pieds dans le plat. Il y a d'ailleurs une transition qui m'a fait penser au Pacte des loups et j'en ai un peu honte parce que dans les deux cas je trouve ça maladroit mais c'est un peu moins beauf ici quand même. Cette relation est quand même montrée comme quelque chose de beau et on y croit à l'écran, sans doute parce que Magimel et Binoche ont vraiment été ensemble dans la vie et qu'ils sont de très bons acteurs.
Le prix de la mise en scène à Cannes n'est pas très étonnant. Il y a énormément de longs plans filmés de façon virtuose, ce qui a dû être une galère sans nom à tourner car il ne faut pas se rater avec une telle configuration, et il y a tous ces accessoires à gérer pour simuler l'évolution d'un plat au cours de sa préparation. C'est un film sans musique mais pas austère pour autant. On se concentre avec les personnages sur ce qu'ils font ou ce qu'ils ressentent et cet aspect du film a très bien fonctionné sur moi.
En bref c'est assez étonnant et Trần Anh Hùng a eu l'intelligence de raconter assez peu avec ses dialogues et beaucoup par sa mise en scène, ce qui est plutôt idéal pour du cinéma.