La poésie est la sève de l'âme. Elle gagne la psyché par un chemin lent, mais fécond, comme la les racines d'une plante puisent la vie dans la terre. Elle se diffuse peu à peu et se précise par le jeu des mots, des sons, des images. Son existence ne se fait plus nette que dans la contemplation et l'attente. L'artiste est un peintre. Le public doit le rejoindre pour regarder son œuvre. Cette métamorphose est le travail de l'artiste lui-même. Il amène le public par-delà le monde, et de son bras de prophète, lui montre son rêve.


C'est la théorie. En pratique, c'est comme pour les chasseurs, il y a les bons et puis il y a les mauvais. Il y a l'Evangile selon Saint Matthieu de Pasolini, et il y a la Passion du Christ selon Mel Gibson.


La piètre note réservée à ce film est assez justifiée. Esthétiquement obèse, il souffre d'une profonde artificialité.


Il pèche tout d'abord par ses ralentis trop nombreux et empruntés. Mel Gibson ne parvient pas à transcrire les scène de grâce ou d'amitié autrement que par ce procédé grossier.


Dans la même veine, l'utilisation outrancière des bruitages appesantissent le film. L'image est laide, chargée par des filtres d'ambiance trop colorés. Les plans sont simplistes, les flash-backs de trop, la musique sympathique quoique trop cliché. L'ensemble perd en poésie ce qu'il gagne en effets spéciaux. Le film est sous stéroïdes.


Dans la Passion du Christ, tout est brutal : on ne croit pas à l'agonie du Christ au jardin des oliviers. Il ne semble pas souffrir, mais être fou. Satan a tout l'air de sortir d'un film d'horreur bas de gamme, et non le Prince des anges déchu. La scène de la Résurrection est d'une indifférence crasse.


Mel Gibson a sacrifié la poésie sur l'autel du phénoménal.


Et pourtant, malgré tout ce que j'en pense de mal, ce film m'a laissé pensif. Comme s'il m'avait ouvert l'esprit sur quelque chose dont l'esprit peine à accepter l'évidence, et qui m'était paru inaccessible jusqu'alors.


Sous ses gros traits de blockbuster, il m'a appris une chose. Il m'a appris que Jésus-Christ était un homme, et qu'il n'était pas simplement Dieu.


La divinité du Christ est une évidence : créateur de toutes choses, sa venue au monde est rendue nécessaire pour racheter la faute originelle de nos parents. Toute l'évangile transcrit sa nature divine. Qui d'autre qu'un Dieu d'amour pour dire aux Juifs lapidant la femme adultère repentie qu'ils devraient lui pardonner ? Pour nous dire d'aimer notre ennemi comme nous-même ? Pour nous faire tendre l'autre joue ? Pour protéger le démuni contre le fort, le pauvre contre le riche, l'esclave contre le maître ? Pour aller jusqu'au sacrifice de soi pour racheter le péché de l'humanité ?


Ce sacrifice est justement difficile à appréhender. Connu par la foi d'abord, par les textes ensuite, le Messie nous apparaît avec l'infinie distance qui sépare le créateur de la créature. Sa grandeur dépasse la finitude de nos âmes. Accessible dans le plus grand secret de la foi, il se dérobe à l'intelligence, et paraît, dans l'attente de l'éternité, comme une étoile qu'on ne peut que deviner.


Face à l'infini, l'humanité du Christ nous échappe. Et justement, le film dévoile cette nature humaine. Il en montre la silhouette, les sourires, les rires, la chair, les plaies, les chutes, la mort. Si la souffrance qu'implique le sacrifice nous échappe, le film la Passion du Christ nous la présente avec toute l'horreur qu'elle comporte. Le Christ se fait réellement chair, et son sacrifice prend un sens nouveau : il est l'œuvre d'un Dieu, mais aussi l'œuvre d'un homme.


On a beaucoup reproché la violence du film. Ce n'est pas un film violent, c'est une ode à l'homme le plus pacifique qu'ait connu ce monde.

Roro-blochon
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le 12 avr. 2023

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Roro-blochon

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