"C’est l’homme de ma vie" a-t-elle dit, la Dalle, de Pasolini, dont elle a découvert le Salò à 17 ans dans un petit cinéma du Quartier Latin, sans doute feu L’Accattone où je l’ai découvert moi aussi, traumatisé, à 19 ans. Et puis Genet et Cobain aussi. "J’aime que des mecs morts" a-t-elle constaté, hilare, dans plusieurs interviews. Des mecs, Genet et Pasolini, qui aimaient les mauvais garçons, comme elle. Des mecs, Cobain, fracassés de la vie, comme elle encore (mais elle en est revenue, de cette fracasse). Mais ici, il sera surtout question de Pasolini. De marcher sur ses traces dans toute l’Italie, de Rome et d’Ostie (sur cette plage où il a été assassiné) à Bologne en passant par les décors magnifiques où fut tourné L’Évangile selon saint Matthieu, à Matera et à Ginosa, dans les Pouilles. De remonter le temps donc. De se rapprocher de lui. Et, peut-être, qu’advienne une rencontre.

Entre documentaire et fiction, Fabrice Du Welz filme deux monstres sacrés du cinéma en mode icône, l’un qui bouffe l’écran (c’est Dalle) et l’autre dont la présence le hante (c’est Pasolini). Pasolini donc, sa vie, son œuvre, sa personnalité, ses combats politiques, sa mort. Pour les groupies du réalisateur (que je suis), il n’y aura rien de nouveau à apprendre et, sur ce point-là, le documentaire se révélera décevant. Pour les néophytes en revanche, il y aura sans doute davantage d’intérêt dans l’affaire et, peut-être aussi, d’envie de découvrir ses films. Idem pour Dalle. Les fans (que je suis aussi) savent déjà à peu près tout d’elle, ce tout qu’ils ont glané au fil de ses nombreuses interviews, et on ne saura pas grand-chose de plus ici (peut-être le rendez-vous manqué avec Godard). Autant revoir celle dans la séquence "Vidéo club" de Konbini, presque plus intéressante, en étant mauvaise langue, que cette Passion émoussée.

Et puis bon, Dalle passe le plus clair de son temps soit à simplement acquiescer à tout ce que lui disent ses interlocuteurs sans vraiment interagir (les discussions, peu fluides, étant entravées par la barrière de la langue et la nécessité d’être constamment traduites, en l’occurrence par l’acteur et réalisateur Clément Roussier), soit à pleurer toutes les larmes de son corps sans que l’on sache si l’émotion la travaille à fond ou si elle en fait des caisses, en particulier quand elle assiste à une projection de L’Évangile selon Saint Matthieu à la cinémathèque de Bologne. Entre les deux, elle se confie sur deux ou trois épisodes de sa vie, sur ses inspirations et sur ce qui la transporte (Vivaldi et Mozart, les actrices transfigurées chez Pasolini par exemple).

Même les retrouvailles avec Abel Ferrara (qui réalisa d’ailleurs un film sur les derniers jours de Pasolini), quasi 30 ans après leur collaboration (houleuse) sur The blackout, et alors qu’on rêvait de retrouvailles tendres et électriques, sont totalement frustrantes, réduites à quelques bavardages insipides sur un bout de zinc dans un bar. Il reste quoi alors, de cette Passion qui promettait tant ? Un joli noir et blanc, les beautés de la campagne italienne, Dalle qui s’extasie parfois. Et une rencontre enfin, sinon LA rencontre promise, avec Rossana Di Rocco qui jouait l’Ange annonciateur dans L’Évangile selon Saint Matthieu, et qui apparaît à Dalle comme elle apparaît dans le film de Pasolini, bouleversante et mystique, et dont les yeux bleus seraient les reflets de l’âme.

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le 25 nov. 2024

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