Après le succès international de « Ivre de femmes et de peinture », on retrouve Im Kwon-Taek avec une oeuvre hélas inégale, sabotée par une production castratrice qui décida de remonter le film après une première projection au festival de Venise.
« La Pègre » a donc été considérablement raccourci, et son rythme s’en trouve évidemment accéléré, en particulier pendant la dernière demi-heure, alors qu’il était manifestement destiné à être une fresque développée sur trois bonnes heures.
Pour couronner le tout, le producteur a refusé à Im Kwon Taek la possibilité de faire des copies de l’œuvre, ce qui l’a condamnée à n’être diffusée que dans une seule salle parisienne lors de sa sortie.
Quel dommage, ce film aurait tout simplement pu devenir le « Il était une fois en Amérique» coréen.
On prend malgré tout beaucoup de plaisir à assister à cette peinture de la Corée d’après-guerre, dans des décors délicieusement surannés. Cela ne suffira pas à vous faire comprendre les complexes rouages d’une société en pleine mutation, mais vous donnera un petit aperçu de la façon dont les choses se déroulaient dans le milieu des vilains garçons version kimchi.
Après « Le chant de la fidèle Chunhyang » et « Ivre de femmes et de peinture », Im Kwon-Taek délaisse les robes et les amusantes coiffes traditionnelles coréennes pour les vestes en cuir et les costards cravates des tontons flingueurs. Tontons qui ne flinguent d’ailleurs pas tant que ça, puisque le grand plaisir des gangsters de Séoul consiste à distribuer de grands coups de savates à qui mieux mieux, c’est une constante du cinéma coréen, aussi bien dans les films de Bong Joon-Ho que dans ceux de Kim Ji-Woon en passant par ceux de Kim Ki-Duk.
Entre pots-de-vins, dessous de table, et autres tentatives de corruption plus ou moins intimidantes, le quotidien de ces gens-là n’était pas triste, favorisé bien sur par une société hyper-hiérarchisée et prônant la domination de son prochain. Les politiques et les militaires étaient évidemment de la partie pour remporter la palme des plus pourris puisque étroitement de mèche avec nos amis gominés. Un vrai panier de crabes.
Im Kwon-Taek ne donne cependant aucune leçon de morale, les évènements s’enchaînent et se suffisent à eux-même. Le classicisme de sa mise en scène fait plaisir à voir. Il filme avec une élégance rare, épurée qu’on ne retrouve que rarement de nos jours.
En définitive, ce film aurait pu être tourné dans les années soixante qu’on n’y aurait vu que du feu.
Les acteurs servent le film sans tenter de tirer la couverture à eux, pas de performance particulière donc mais un casting solide et bien huilé.
« La Pègre » s’accommodera à merveille du visionnage de « The President’s Last Bang », d’Im Sang-Soo, dont l’action se situe peu après la fin des événements décrits dans le film d’Im Kwon Taek. Les deux oeuvres se complètent et vous plongeront dans la Corée des années cinquante aux années soixante-dix, comme si vous y étiez.