Une perverse mélodie
Erika, femme proche de la quarantaine, est l’archétype de la vieille fille bourgeoise qui s’effondre jours après jours. Professeur de piano, endimanchée de manière sobrement terne avec un long...
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le 26 janv. 2015
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C’est pas une pianiste. C’est une prof de piano, qui donne des cours de piano. Elle est rigide comme une corde de piano, et n’est pas allée en boîte depuis la dernière guerre mondiale. Coincée, elle vit avec sa mère dans un petit appartement sombre, et le drame est rampant…On le sent. Pour ceux qui ne connaissent pas Aneke ça pourrait choquer, ou déstabiliser. Notre prof de piano se rend dans un Sex shop, loue une cabine de projection, se fait un petit film X, et à un moment, elle fait un truc complètement dégueu... Ahaargh...!! Je suis resté bouche ouverte comme un poisson rouge. J’ai fait : Ah !? Certains auront envie de vomir sur l’écran, sûr. D’autres feront : Beurk…Tout Aneke en résumé. Espace domestique, violence psychique, et provocation paranoïaque. Et ça va pas s’arranger pour notre héroïne. Erika elle s’appelle. Elle n’aurait pas de problème avec les mecs, celle-là ? Ou avec sa mère ? Annie Girardot, vieille, castratrice, rigide comme le couvercle du piano. Un couple infernal. Et c’est pas fini.
Soudain se présente un jeune pianiste, (Benoît Magimel). Il a envie de dérider les fesses de cette « vieille » prof, trop sérieuse, mais sûrement coquine à l’intérieur. Erika n’est pas réceptive, pas d’accord. Elle veut bien jouer au docteur, mais à ses conditions. Les règles du jeu seront assez surprenantes, ça vire salace. Faut pas être chef des internes à Sainte-Anne, pour comprendre que cette femme est folle à lier, voire à tuer ! Pourquoi Magimel ne prend pas ses jambes à son coup ? Pourquoi il rentre dans le cercle infernal, à ses risque et périls ? Quand on aime jouer avec le feu…c’est bon, de jouer avec le feu. Et puis elle a de beaux restes la vieille. Miam, miam… S’il savait…Soit dit en passant, je dois reconnaître que je n’ai jamais vu Benoît Magimel aussi bon que dans ce film. Subtil et aérien, beau comme un petit génie, qui joue du piano comme personne, et séduit sans même avoir besoin de forcer. Sauf cette Erika qui ne comprend rien à rien…Elle veut pas baiser. Elle veut jouer avec lui. Bondage. Vomi. Déchéance humaine, et perversité à tous les étages, bienvenue dans la tête de la pianiste. Erika aime la souffrance, (endurée ou éprouvée), est voyeuriste, et le vide effrayant de sa vie, est un mystère que se targue bien de lever Aneke. C’est rempli de d’actes manqués, de signes, de pistes, mais jamais de réponses.
Je donne un satisfécit à Aneke pour sa générosité assumé, dans la crasse, la boue humaine. Il y va fort, à grands coups de marteau sur la tronche. Et pour sa direction d’acteurs d’expert aussi. Avant ce film, je considérais Magimel comme un acteur moyen, voire pire. Isabelle elle, est à la hauteur de son talent. Jeu tout d’un bloc, avec des nuances imperceptibles, tout en forces et faiblesses, rôle difficile tenu haut la main. Girardot est une parfaite reine-mère sur le déclin, petite bourgeoisie qui dépérit. Face à Huppert qui ne lâche rien, le tour de force de Magimel est d’autant plus étonnant ; le voir crever l’écran à ce point...
Comme quoi il suffit d’un rôle fait sur mesure, et d’un cinéaste qui à du nez, et l’œil. Et le jeune bellâtre qui en a marre de cette conne. Il va y avoir du sang. Pas tant que ça. Mais seul les actes comptent, et les ambigüités dans la narration. Et le jeu continue. On ne sait plus quoi penser, de cette femme d’âge mûre, qui se sert de ce garçon, dans une relation pseudo sado-masochiste, à ses risques et périls…Même sa mère est obligé de reconnaître l’évidence : « Mais tu es folle ! » Elle a pris du temps pour le remarquer, la vieille. Erika, elle, est lucide :
« Vous n’êtes pas capable de reconnaître un abîme, quand vous en rencontrez un ! » Huppert dit ça à Magimel, mais il ne comprend pas. Nous on aura compris. Elle parle de Schubert, son compositeur préféré. Schubert, c’est elle. Pour jouer Schubert, il faut « être » au bord du gouffre. Elle est adepte de l’extrémisme absolu, au premier degré. La folie.
Voilà un film rempli de musique, de technique, et d’ombre... Huppert explore son côté obscur. Un aller sans retour dans la boîte à musique de sa tête cassée. Filmée avec un sang-froid animal, discipline, endurance, et une foi de perverse manipulatrice. Elle réagit de façon animale, à la musique, seule chose qui compte, et détruit tout ce qui n’est pas parfait, à son goût, et ce qui pourrait le devenir. Ses élèves, sa mère (prise au piège), son jeune « amant ». Et jamais on n’aurait imaginé la musique, encore moins celle-là, vue sous cet angle. Bach, Beethoven, Schubert…Un enfer de discipline, d’abnégation, de don de soi, intransigeant, qui conduit lentement à la folie. Là aussi c’est ambigüe, mais de l’ambigüité productrice d’images tordues. Du bon cinéma. Aneke chie sur la musique, ou sur le genre humain ? Ou les deux ? Mystère. Il se sert de l’un et l’autre pour créer le maximum d’impact. Seul son cinéma compte, la musique est un marchepied…mystère de la création. Et pourtant, que la musique est belle, au-dessus de tout ça. Froide et belle. Revenue de tout. Même de ce traitement de choc qu’est La Pianiste, le film.
Qu’est-ce que l’âme humaine ça peut être malsain quand même. Qu’est-ce qu'Aneke fait faire à Huppert quand même. ?! Est-il question d’amour, ou de peur d’aimer ? De sexe et de peur du sexe? Du plus beau, et du laid. Le bel et la bête. Une fin sans paroles. Terrible.
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le 22 juin 2016
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