Je ne pense pas qu’aujourd’hui, on puisse encore parler de spoil concernant La Planète des Singes. Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours su ce qu’était La Planète des Singes, son retournement de situation. Peut-être parce que ma mère est fan de la saga et qu’elle avait la mauvaise habitude de me raconter la fin des films (Se7en, Alien). Quoiqu’il en soit, lorsque j’ai vu pour la première La Planète des Singes de Franklin Shaffner, c’était à mes onze ans devant Arte, et pendant tout le film, je harcelais ma mère en lui demandant quand est-ce qu’on allait voir la fameuse Statue de la Liberté. Lors du plan final, ce n’est pas la surprise qui a envahi mon esprit, c’était une tout autre émotion : devant le final de La Planète des Singes, j’avais peur.


Cette image d’un Charlton Heston écroulé devant les vestiges de la Statue de la Liberté m’avait choqué non pas parce que je ne l’avais pas vu venir ; mais parce que sa composition même, l’incompréhension de Nova, le bruit glaçant du vent, la détérioration de ce symbole de l’humanité, le grain de l’image, ça évoquait, un inconfort, une incertitude qui m’avait pris à la gorge.


Et ce film, je ne l’ai plus revu pendant dix ans. Il m’avait marqué, je m’en souvenais parfaitement, et dans un sens, je n’avais pas besoin de le revoir pour savoir à quel point, c’était un grand film. Entre temps, j’ai découvert la trilogie avec Andy Serkis (que j’adore), j’ai découvert le livre de Pierre Boulle (que j’adore), et donc, un peu comme ma mère, je suis devenu fan de La Planète des Singes. Et en même temps, comment ne pas être subjugué par le concept de Pierre Boulle qui donna naissance à une multitude de films et donc, d’approches.


Qu’on se le dise, La Planète des Singes est un concept si bien trouvé qu’on peut littéralement tout raconter avec. La trilogie moderne a une approche bien plus biblique en plaçant Caesar comme le Moïse simien. Celle de Tim Burton, je sais pas, je l’ai pas vu. Et donc, la première version, celle de Franklin Shaffner a une approche bien plus philosophique, scientifique et anthropologique.


Et c’est là où je coince dans ma critique, parce que beaucoup d'encre a coulé sur ce film et je ne pense pas pouvoir résumer le temps d’une critique toute la substance de ce chef d’œuvre. Même, certains le feront bien mieux que moi. Mais en étant concis, rapide et le plus clair possible, de quoi parle La Planète des Singes de 1968 ?


 - D’un monde miroir inversé permettant une réflexion sur la place de l’Homme dans la nature, son rapport aux autres animaux, engendrant ainsi, une critique acerbe du traitement des animaux dans notre culture.  
- Un questionnement philosophique sur l’État de Nature, théorie développée par Hobbes et Rousseau. Les Hommes ramenés à leur condition animale et ne survivant que grâce à l’instinct grégaire, désintéressés par toute forme d’ordre social (en même temps, comment le pourraient-ils s’ils ne peuvent même pas parler dans le film).
- Un regard cynique et désabusé sur la Guerre nucléaire à travers le personnage misanthrope de Taylor, caricature du bon ricain sûr de lui.
- Une critique sur l’obscurantisme scientifique, ethnologique et religieux à travers la scène du jugement de Taylor où trois orangs-outans cherchent surtout à cacher la vérité quant aux origines de leur espèce.
- Un rappel sur les inégalités entre les classes/races, ici symbolisé par le statut des orangs-outans scientifiques (les cochons), les gorilles soldats (les chiens) et les chimpanzés en bas de l’échelle sociale (les moutons), faisant ainsi référence à *La Ferme des Animaux* de **George Orwell** avec la réplique “certains singes semblent plus égaux que d’autres” (cette thématique est déjà bien présente dans le livre, mais la référence à Orwell dans le film est bien trouvée).

Chaque scène, chaque réplique fait mouche, apporte quelque chose à toutes ces thématiques abordées dans La Planète des Singes. C’est un film dense, complexe, riche en interprétations et incroyablement pertinent. Qui plus est, servi par une musique incroyable de Jerry Goldsmith et la réalisation de Shaffner, le tout visant à créer cet inconfort permanent, ce sentiment de ne pas être à sa place. Ces gros zooms, cette caméra à l’épaule saccadée, ce non-respect de la dignité humaine, c’est un film qui déstabilise et ce, au service de tous ces thèmes que j’ai cité plus haut.


Je disais que La Planète des Singes n’était plus un film à spoiler puisque tout le monde connaît la fin, mais j’ose à peine imaginer l’effet tétanisant qu’il a pu produire à sa sortie en 1968. C’est un film qui vise tellement juste qu’encore aujourd’hui, il est d’actualité. Un film avec des maquillages tellement réussis, qu’il n’a pas pris une ride et les émotions se lisent parfaitement sur les singes. Ce n’est pas un film qui se raconte, c’est un film qui se découvre, qui se vit. Un chef d’œuvre.

Créée

le 6 mars 2021

Critique lue 118 fois

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James-Betaman

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