Dans la cohorte infinie des franchises, conclure une trilogie ou une saga est devenu un sous genre en soi : il s’agira d’être solennel, de poser les jalons d’un dénouement (qui, dans les prequel, sera doté d’une saveur particulière puisqu’il embraye vers un univers familier du public), et de faire ses adieux en beauté, souvent à renfort de pathétique. Logan a récemment très bien rempli sa mission sur ce créneau
La Planète des Singes reboot était une saga d’une qualité certaine. Des effets numériques talentueux au point de se faire oublier (c’est toujours le cas ici, César est un personnage profondément incarné par Serkis), un certain sens de la mise en scène et une approche métaphorique de la question de la guerre ou de la décadence humaine assez intéressante.
Les débuts du film poursuivent ce qui faisait l’identité de L’Affrontement : la forêt, un affrontement, dans une scène de guerre assez maitrisée, faisant la part belle à l’attente et la pénombre ; procédé qu’on retrouve dans l’attaque du repère de César, et ces beaux laser verts découpant l’obscurité.
Mais Matt Reeves veut jouer dans la cour des grands, et le montre un peu trop : par ses références initiales au Vietnam, et surtout le spectre d’Apocalypse Now qui s’invite jusque dans la présentation en clair-obscur du crâne chauve d’Harrelson ou des tags (Ape-Pocalypse Now) d’un goût presque aussi douteux qu’un titre de billet sur Sens Critique.
Alors que la tragédie en miroir entre humains et singes faisait tout le sel de l’inévitable Affrontement, Suprématie reste très longtemps extrêmement basique dans son intrigue : une vengeance et une fuite sont au programme, avec un petit détour par une évocation de l’esclavage et un film d’évasion. Certes, l’évocation de la mutation du virus chez les humains pimente un peu la donne, mais bien tardivement, et pour épaissir artificiellement des personnages dont on est déjà désintéressés à ce stade.
Sur cette trame un peu maigre, deux boulets viennent de greffer et vont faire sérieusement tanguer l’embarcation. D’abord, la longueur, proprement déraisonnable. 140 minutes pour un timbre-poste, laissant de longs trous d’air, des échanges à répétition, des flashbacks redondants et des numéros de cabotinage plus que dispensables (Harrelson, donc, qui nous met des lunettes de soleil et fait jouer du Jimi Hendrix, et un sidekick monkey apportant la touche d’humour avec la subtiltié d’un Jar Jar Binks )… Il ne suffit pas de déterminer la durée d’un film pour en assurer la grandeur ou la solennité.
Ensuite, la gestion des climax et de sa tonalité. Dans un récit, un pic émotionnel ou narratif suppose quelques aménagements en termes de temporalité : le rythme se distend, la musique s’accroit, et un lent zoom sur le visage d’un des protagonistes vous donne la mesure de son intense état émotionnel. Matt Reeves adore ce type de moment. Le problème, c’est que par définition, l’apogée se doit de se distinguer par sa rareté. On ne compte plus les prises de conscience de César et les moments « décisifs » adjoignant à la lenteur du film une pesanteur disproportionnée.
Une guerre bâclée, des citernes pleines de fioul et une avalanche en guise de chasses d’eau opportunes n’y feront rien : la lassitude s’est installée.
Suprématie est donc effectivement triste, mais pas pour les bonnes raisons : en ayant trop tablé sur sa capacité à émouvoir ou impressionner, il rate sa sortie.
(4.5/10)