Nous entrons et sortons par l’ombre militaire de la jeunesse moscovite, nous traversons l’ensemble par des élans libertaires qui tantôt captent les paroles revendicatrices tantôt suivent l’errance des corps dans la cité ; ces deux versants se rassemblent pour former la médaille d’une génération perdue dans sa liberté et qui propose une réflexion superbe sur ce qu’être artiste en URSS signifie. À ce titre, les discussions entre fils et pères déconcertent par le brio de leurs non-dits : l’un a consacré sa vie au peuple et ne comprend pas que la jeunesse préfère, au lieu de suivre son modèle, s’amuser ; l’autre revient sous forme de spectre et avoue son incompréhension face aux turpitudes de sa progéniture. La Porte d'Ilitch est une œuvre sur la surdité intergénérationnelle : le jeune homme parle peu voire pas du tout ou parle trop, mais il se détache – malgré lui – de la parole idéologique encore en usage. « L’humanité perd la moitié de son temps à s’expliquer », reconnaît l’un des trois amis tentant de fuir les débats inertes pour regagner l’affection de son épouse. Trois heures sont nécessaires pour se plonger dans une atmosphère révolutionnaire où le conservatisme figé se voit heurté par des vagues venues d’ailleurs – la Nouvelle Vague française inspire chaque plan, chaque mouvement de caméra – mais profondément russes. En cristallisant par l’incessant mouvement la réalité, les rêves et les désillusions d’une jeunesse perdue, Marlen Khoutsiev offre au cinéma russe son joyau libertaire qui envoûte, fascine et déconcerte.

Fêtons_le_cinéma
10

Créée

le 30 mars 2019

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