Wojciech Jerzy Has - 1968
SensCritiquiens, réveillez-vous et précipitez-vous sur ce film ! Comment un tel chef-d’œuvre peut-il rester aussi méconnu ?
Wojciech Has fait ici preuve d'une maitrise dépassant même la remarquable Clepsydre qui viendra 5 années après ce film; réussissant à mêler réalisme de l'analyse et richesse de l'imaginaire dans un équilibre rarement atteint au cinéma. Rien n'est gratuit ici, dans cette confrontation brutale du luxe et de la misère, de la crasse et du raffinement, de l'intelligence et de la bêtise, de l'idéalisme et de la corruption. En se servant de la perspective historique, à savoir la période qui suivit l'insurrection polonaise de 1863 et son impitoyable répression par l'empire russe, Has réalise de fait un grand film politique qui, de par sa subtilité, passera aisément les barrières de la censure qui s'exerçait alors en Pologne (1968). Le regard critique est pourtant sans concession et son acuité demeure pleinement sensible jusque dans l'époque présente, au-delà des schémas idéologiques.
Une réplique du personnage principal Wokulski, faussement anodine, posant fort bien l'arrière plan subjectif : "Le destin plaisante rudement avec les êtres humains."
Mais le propos n'aurait certainement pas cette force si Has ne maitrisait pas avec une telle maturité la matière cinématographique, la profondeur des champs et les mouvements de la caméra qui semblent nous amener directement au cœur des significations cachées, des souffrances non formulées, des possibles inatteignables.
Les deux heures quarante de ce film, par leur complexité visuelle jamais lassante, la richesse flamboyante des décors vous feront, peut-être, regretter l'aplatissement technologique contemporain et l'affadissement sensoriel qui en découle. Une incomparable leçon de cinéma.
Le scénario, écrit par Has lui-même, est issu du roman "La poupée" de Boleslaw Prus qui fut publié en Pologne de 1887 à 1889 sous forme de feuilleton.