Piège de vestale
Après le désastre de L’Enfer, Clouzot n’a pas dit son dernier mot et ne désespère pas d’exploiter toutes les recherches plastiques qu’il a pu faire. Alors qu’on lui propose un travail sur la...
le 11 nov. 2020
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Après le désastre de L’Enfer, Clouzot n’a pas dit son dernier mot et ne désespère pas d’exploiter toutes les recherches plastiques qu’il a pu faire. Alors qu’on lui propose un travail sur la photographie de nu, il entame des recherches comme toujours exhaustives sur le sujet, et se décide à en faire un long métrage.
En résulte une exploration qui se voudrait sulfureuse dans les arcanes de la perversion, entre voyeurisme, pornographie soft, bondage et manipulation psychologique. Autour de figures assez élémentaires, Clouzot met en place son échiquier : un marchand d’art riche et pervers, dont l’appartement est un musée se transformant en studio photo pour ses séances clandestines, une jeune beauté qui frémit à son contact, hésite puis se lance à corps perdu, et enfin son homme, artiste qui pourra tenter de commenter la situation avec le bon sens de celui qui ne peut pas comprendre.
On voit très vite ce qui intéresse réellement le cinéaste, dès l’ouverture dans une exposition d’art cinétique qui multiplie les occasions de déformer la vision traditionnelle et les directions de la lumière, et dans laquelle les personnages ne sont finalement que des pantins candidats à la diffraction. Il en sera de même lors du trajet en train de l’artiste, qui multiplie les expériences visuelles pour faire de tout ce qui l’observe un terrain d’investigation, déformable et dynamique.
La thématique de la photographie intéresse elle-même assez peu Clouzot, qui en fait une finalité presque réservée au personnage, alors que les séquences se concentrent surtout sur le mécanisme de manipulation qui permet de les mettre en place. Difficile de ne pas voir un lien étroit avec la relation qu’on a toujours connu entre le cinéaste et ses comédiennes, dans ce jeu malsain de manipulation qui font de la femme l’objet malléable à merci d’un homme ivre de contrôle, et qui résonne ici presque comme un fantasme nostalgique au crépuscule de la vie d’un réalisateur qui a alors beaucoup perdu de son pouvoir.
La séquence finale reprend quasiment à l’identique toutes les idées qui avaient été prévues pour l’Enfer, et qui sont visibles dans le documentaire de Serge Bromberg, à la faveur d’un rêve comateux qui permet toutes les libertés formelles.
L’histoire donnerait ainsi raison au créateur frustré qui, avec un nouveau scénario et d’autres comédiens, pourrait finalement exploiter sa fureur inspirée.
Le problème, c’est le résultat. Car, si les innovations sont bien réelles en termes d’expérimentations, l’œuvre proposée reste franchement bancale, et sensuellement stérile. Le jeu assez hasardeux des personnages ne délivre que quelques rares moments authentiques, les dialogues franchement poussifs et explicites (du genre « vous êtes un voyeur mais vous êtes aveugle au vrai amour »), la progression des protagonistes artificielle. Tout le liant affilié aux personnages est défaillant, et semble regardé avec indifférence par un réalisateur qui a d’autres priorités, mais qui semble faire les mêmes erreurs que son personnage : obnubilé par l’innovation, il en délaisse l’âme ; obsédé par la forme, il en oublie la chair. Si l’on ne peut que saluer l’audace et le désir de renouvellement, l’œuvre aura eu le mérite de montrer aussi les limites de la forme pure, et l’indispensable point d’équilibre à un film qui prétend encore raconter une histoire et faire évoluer des personnages.
(5.5/10)
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le 11 nov. 2020
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