Qui a dit que les derniers films des réalisateurs étaient toujours mauvais ?

Henri-Georges Clouzot pour son dernier film mais pour son premier film en couleur traite un sujet qui n'a rien à voir avec ses films plus connus comme le Corbeau ou l'Assassin habite au 21. Il nous montre un cas de relation SM entre adultes consentants sous un fond de scopophilie, je me hâte de placer le mot scopophilie avant de l'oublier je pense dès la fin de cette critique, sachez qu'il s'agit uniquement de voyeurisme, les spécialistes en grec l'auront deviné. Le film est tourné en 1968, année emblématique pour la libération des mœurs, ce n'est peut-être pas un hasard, mais il ne faut pas s'attendre à y trouver du porno soft en dépit de l’affiche, il s'agit plutôt de fantasmes esthétisés et l'histoire est dissimulée comme derrière un rideau d'art contemporain par une introduction et une conclusion qui nous offrent un kaléidoscope d'art cinétique et d'art optique, Clouzot étant un collectionneur, avec des œuvres de grands noms comme Vasarely, et une BO adéquate où figurent Webern, Xénakis ou Luciano Bério.

Après ou avant ces recherches formelles nous faisons la connaissance d'un couple, qualifié de libre et «moderne» selon les critères de certains milieux de l'époque, Josée est monteuse, Gilbert est un artiste qui drague les journalistes dès qu'il en a l'opportunité afin de booster sa carrière. Mais le couple va subir une crise quand Josée va tomber sous l'emprise d'un directeur de galerie d'art moderne. Le voyeurisme ne va pas sans appareil photo et quand Stanislas Hassler, le directeur de la galerie d'art qui est en même temps photographe pour son plaisir personnel, va montrer à Maguy sa peu passionnante collection de photos d'écritures d'écrivains, une photo d'un modèle dans une pose de soumission va se glisser par erreur. Josée est troublée par cette image, et encore plus quand elle revient pour assister à une séance de poses où le modèle Maguy se fait photographier par Stanislas nue sous une robe transparente. Josée, bouleversée par cette séance, fera en sorte de poser à son tour pour Stanislas, qui n'a de son côté aucune vie amoureuse, préférant les images aux modèles, et tombera amoureuse de lui.

Clouzot sort une fois de plus des sentiers battus, nous ne sommes qu'en 1968, et, comme pour l'ensemble de sa carrière il ne choisit pas la facilité. Si le résumé que j'ai fait et le titre du film peuvent faire croire à un film érotique, ce qui intéresse le plus Clouzot est l’analyse des mécanismes de la manipulation et la plus grande partie du film montre les relations parfois tendues entre Josée et Stanislas «Au lieu d'être un homme, tu es devenu un maniaque», l'incompréhension entre Josée et Gilbert et une confrontation angoissante sous fond d'acrophobie, la peur du vide, va opposer Gilbert et Stanislas en haut de la terrasse d'un immeuble. Clouzot à travers ses personnages semble se poser des questions sur sa carrière, sur les relations de couple et sur la libération des mœurs: l’innovation formelle n’est-elle pas un obstacle aux sentiments? La froideur de la recherche artistique peut-elle avoir un lien avec la perversion? La volonté de tout contrôler, celle d’un metteur en scène par exemple, n'est-elle pas proche de la volonté de domination? Le cinéma et le voyeurisme ne sont-ils pas la même chose? La force d'une image peut-elle révéler ou modifier la sexualité? La libération des mœurs est-elle une impasse?

Tout cela serait bien théorique si nous ne nous attachions pas à Elisabeth Wiener, douce et forte dans le rôle de Josée, à Laurent Terzieff, écorché vif autoritaire autant que malheureux dans le rôle de Stanislas, à Bernard Fresson monolithique mais amoureux en Gilbert et à Dany Carrel magnifique en Maguy.

L'intro et la conclusion du film en forme de recherche formelle propre à une période déjà éloignée ne doivent pas éloigner de cette œuvre originale dont les thèmes restent intemporels.

Zolo31
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le 2 oct. 2024

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