Après s'être attaquée à la figure du mâle dans Bowling Saturne, Patricia Mazuy revient avec un film qui peut paraître en apparence plus sage et porté cette fois sur la lutte des classes.

On a une variation, en réussi, des films où un riche bourgeois va se mettre à prendre sous son aile un jeune de banlieue prometteur. C'est réussi parce que la bourgeoise jouée par Isabelle Huppert est une victime de la bourgeoisie, de son système patriarcal, mais malgré cela elle reproduit les codes de la bourgeoisie et notamment son racisme et son mépris de classe.


Certes de prime abord on a un film assez gentil où la bourgeoise aide la pauvre prolétaire arabe à s'en sortir, mais si on écoute ce qu'elle dit, si on voit ce qu'elle fait, on voit que derrière l'altruisme il y a malgré tout des réflexes racistes. Le film commence et on voit le mari de Huppert qui est en prison dire être attristé par la mort du chat et qu'il faut que sa femme en prenne un autre... Juste après elle récupère, parce qu'elle s'ennuie, une dame (jouée par Hafsia Herzi, impeccable, comme toujours) qui dort dans un abri bus et qu'elle a croisé un peu plus tôt. Difficile de ne pas faire le lien, plutôt que d'un chat elle va s'occuper de cette femme et de ses enfants, parce que pourquoi pas ? De la même manière lorsqu'elle lui annonce lui avoir trouvé un travail à l’hôpital, elle ne peut s'empêcher de préciser que sa nouvelle protégée n'a pas fait d'études... Elle sait jouer de sa position de classe lorsque ça l'arrange. J'aime tout particulièrement la scène où les deux filles ont un différend, Huppert tout de suite, alors qu'elle pourrait s'en foutre, demander ce qui se passe, avoir mille réactions différentes, par réflexe reprend sa position de dominante instaurée par la société (et ses représentants).


Le film va encore plus loin dans l'exposition du pouvoir bourgeois, puisque l'on comprend bien que ce n'est pas une question d'individus, mais bien de système tout entier et notamment lorsque l'on nous montre explicitement que les bourgeois ont des passe-droit.


Le personnage est ambigüe, bien que présenté comme sympathique mais un peu excentrique, sans doute pour cacher son mal-être, mais il y a quelque chose d'un peu pourri en elle. Elle ne sait rien faire puisqu'elle a une domestique (vive la dialectique du maître et de l'esclave), elle n'a finalement aucune contrainte, elle fait ce qu'elle veut quand elle veut, elle impose ce qu'elle veut à sa nouvelle amie et pourtant elle est profondément malheureuse... Néanmoins elle ne peut pas imposer quoique ce soit à son mari, elle n'a pas l'ascendant sur lui comme elle l'a sur le personnage de Hafsia Herzi.


Donc si en apparence on a un genre de Intouchables féminin, en réalité on a un film bien plus intéressant sur les rapports sociaux entre les gens et lorsque l'on traite des différences sociales entre deux personnages, c'est quand même un tantinet important.


Mais surtout le film se permet de respirer, il n'est pas lourd, certes Huppert joue une bourgeoise qui se comporte comme tel avec son syndrome du sauveur, mais il y a quelques moments de grâce... Des moments où l'on voit les personnages passer réellement du bon temps et s'amuser.


De la même manière que Huppert est prisonnière de sa classe, Hafsia Herzi elle aussi se voit rattraper par sa condition d'origine. On est dans quelque chose de plus ouvertement mafieux, de plus ouvertement violent, mais dans les deux cas on n'arrive pas à s'en défaire.


Donc contrairement où dans Bowling Saturne le mâle était un mal en soi, là on a la masculinité et ses désagréments pour la vie des compagnes qui se trouve mêlé à la classe sociale.


En somme si ce n'est sans doute pas le meilleur Mazuy, le film vaut le détour, rien que sa façon de nous offrir un anti-Intouchables.

Moizi
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste films vus en 2025

Créée

le 9 janv. 2025

Critique lue 288 fois

1 j'aime

Moizi

Écrit par

Critique lue 288 fois

1

D'autres avis sur La Prisonnière de Bordeaux

La Prisonnière de Bordeaux
Squarks
4

L'aliénée

Le synopsis et la présence au scénario de François B. m'avaient mis l'eau à la bouche. Je ressors de la séance assez déçu. Le thème d'une amitié interclasse est très intéressant mais je trouve son...

le 2 sept. 2024

6 j'aime

La Prisonnière de Bordeaux
timix
6

prison dorée

Deux femmes socialement opposées se lient d'une amitié soudaine. Alma et Mina sont "co-détenus" car leur conjoint respectif sont en prison. Bientôt elles le seront également dans la grande maison...

le 2 sept. 2024

3 j'aime

1

La Prisonnière de Bordeaux
Little-John
7

La fourmi chez la cigale

Si ma connaissance du cinéma de Patricia Mazuy est encore très lacunaire (car sa découverte toute récente), une chose cependant m'a sauté aux yeux dès les premières secondes de La Prisonnière de...

le 30 août 2024

3 j'aime

Du même critique

Star Wars - L'Ascension de Skywalker
Moizi
2

Vos larmes sont mon réconfort

Je ne comprends pas Disney... Quel est le projet ? Je veux dire, ils commencent avec un épisode VII dénué de tout intérêt, où on a enlevé toute la politique (parce qu'il ne faudrait surtout pas que...

le 21 déc. 2019

497 j'aime

48

Prenez le temps d'e-penser, tome 1
Moizi
1

L'infamie

Souvenez-vous Bruce nous avait cassé les couilles dans sa vidéo de présentation de son "livre", blabla si tu télécharges, comment je vis ? et autre pleurnicheries visant à te faire acheter son...

le 29 nov. 2015

306 j'aime

146

Le Génie lesbien
Moizi
1

Bon pour l'oubli

Voici l'autre grand livre « féministe » de la rentrée avec Moi les hommes je les déteste et tous les deux sont très mauvais. Celui la n'a même pas l'avantage d'être court, ça fait plus de 200 pages...

le 4 oct. 2020

247 j'aime

62