14 ans avant "Le fond de l'air est rouge"
Des images d'archive remontées par Pasolini avec de la musique d'Albinoni, ou de la musique africaine, et en voix off des acteurs lisant un texte-litanie de Pasolini. Je crois qu'à un moment il lit un extrait de "Liberté" de Paul Eluard.
Le texte critique le fait que les événements comme Cuba, le Tanganyika sont commentés par des Européens pour informer des Européens. Partage la joie des indépendances, en Afrique, à Cuba, tout en craignant la marche effrénée du siècle. Partage des images-choc de combats à la frontière égyptienne. Entrecoupe violemment des images people, genre Ava Gardner à sa descente d'avion, avec un crâne retrouvé dans une caisse de munition cubaines.
"Il semble que Gershwin et Armstrong ont vaincu Karl Marx".
Des transitions culottées : fin du couronnement d'Elizabeth II, "Et le peuple crie "God saves the Queen"", puis on entend un brouhaha de beuglements sauvages : cut sur une convention républicaine aux Etats-Unis. Un exemple du règne des masses, de la fin programmée des artisans, des paysans, et de la fin de l'histoire. Ironie d'une procession place Saint-Pierre, pour les funérailles de Jean XXIII, où une file blanche incurvée dessine une faucille. Des images de De Gaulle, très digne, assorties de bruits de bombardements et de mitraillettes. Et une image où il trébuche (sacrilège !).
Des images d'un théâtre populaire en URSS, pour les travailleurs, avec un commentaire enthousiaste, comme si un ouvrier parlait.
Un moment recueilli sur la mort de Marylin, "impudique par obéissance".
Beaucoup d'images d'essais nucléaires, on sent bien la période de la guerre froide.
Images du vol de Gagarine, assorties d'un message de paix, de tolérance entre les religions.
Le film est en deux parties, celle montée par Pasolini est la première. La seconde était confiée à un intellectuel royaliste et conservateur, G. Guareschi. Tous deux devaient répondre à la question "Pourquoi notre vie est-elle dominée par le mécontentement, l'angoisse, la peur de la guerre et la guerre ?". Au final, la partie de Pasolini dénonce plutôt qu'elle n'explique, mais la démarche de faire de la poésie à partir d'images d'actualité est louable. Evidemment, il est difficile de ne pas comparer avec les films de Chris Marker, et notamment "Le fond de l'air est rouge". Daté de 1963, année qui devait se terminer par l'assassinat de Kennedy, le film est à un stade moins poussé de réflexion sur la production de l'image que ceux de Marker, et oscille entre le contrepoint, la dénonciation ou l'exaltation lyrique (ou funèbre). Mais la variété de ton, assumée, est là, et c'est déjà beaucoup.