Il en devient assez difficile d'appréhender La Règle du Jeu après avoir lu ou entendu tout ce qui a été dit dessus depuis bien des décennies, alors que l'oeuvre de Jean Renoir a même obtenu le statut de film annonçant la Seconde Guerre mondiale.
Si j'ai souvent entendu que Renoir mettait ici en scène une immense dénonciation de la bourgeoisie, j'y ai plus vu une satire de l'ensemble de la société, des bourgeois évidemment mais ce sont bien le garde-chasse et le braconnier qui paraissent les plus abjects dans La Règle du Jeu. Le metteur en scène de La Grande Illusion parvient ici à rendre sa charge pertinente et même ravageuse, sans jamais tomber dans la lourdeur ou le manichéisme.
La grande force de La Règle du Jeu se trouve dans sa densité ainsi que les personnages, tous sont passionnants, malgré, ou grâce, aux failles qui se révèlent dans les comportements, et Renoir parvient même à rendre émouvant certains des plus minables. Il use habilement d'un ton assez cynique, où même le personnage semblant le plus positif est loin d'être un modèle, devenant même assez fade plus on avance dans le récit, n'hésitant pas à parfois tomber dans la bouffonnerie, lui permettant d'alterner les tons et les sensations avec grand brio.
Dirigeant avec talent de remarquables comédiens, Jean Renoir rend fascinant le château de Sologne et mêle habilement diverses intrigues ainsi que différents aspects de la vie humaine, comme les crises sentimentales, pour mieux mettre en avant la décadence de notre société. Il y a une certaine fantaisie malgré la noirceur dans l'atmosphère du film, où le burlesque croise parfois le romantisme au milieu de cette charge sombre contre un pays et son amoralité.
Même quand le cinéma de Renoir me déçoit, il y a un aspect formel assez fort et remarquable, et La Règle du Jeu n'est évidemment pas une exception, où sa maîtrise de la caméra est brillante, notamment dans les jeux de lumière et sa façon de capter les sensations des personnages par le prisme de leur visage. Le côté tragédie grec est particulièrement prenant et on prend un malin plaisir à suivre ces chassés-croisés amoureux moralement douteux.
Renoir propose avec La Règle du Jeu une oeuvre pleine de rebondissements et construite sur un rythme effréné où les personnages s’entremêlent pour nous offrir une inoubliable et sombre satire humaine ne manquant pas de fantaisie, ni de pertinence, alors que les comédiens sont remarquables.