Longtemps et peut-être encore considéré par les critiques professionnels hexagonaux comme le meilleur film français jamais réalisé, La Règle du jeu que j'ai revu récemment m'est apparu comme quand même assez daté.
Le principal rôle féminin (dont trois personnages de premier plan sont supposés être amoureux fous) est joué par une actrice à la beauté démodée et pour moi quasi inexistante. Du coup, on ne comprend plus la passion qu'elle suscite. Qui se souvient de Nora Gregor aujourd'hui... à part Wikipedia ?
Par contre, Marcel Dalio et Julien Carette ne me sont pas inconnus, mais dans ce film, je trouve qu'ils surjouent ; ils font un "numéro", ce qu'on leur demandait probablement à l'époque, mais qui agace aujourd'hui.
Autre chose qui m'a frappé et que j'ai trouvé d'une cruauté inouïe : vers la fin du film, le réalisateur tue un de ses personnages principaux, comme on tue un lapin (une mort vraiment bête), sans même lui accorder un gros plan ou plan moyen d'adieu.
Et puis... les courses-poursuites dans tout le château (des pièces de réception aux cuisines et de celles-ci aux jardins et re aux pièces de réception) entre le garde-chasse/Gaston Modot et le braconnier/Carette (l'un étant le mari, l'autre le "dragueur" de la soubrette - Paulette Dubost), courses-poursuites supposément drôles, sont interminables et, à force, lourdingues (oui, on a compris le sous-entendu : la vie est un vaudeville).
Octave (Jean Renoir lui-même) qui ne trouve personne pour le débarrasser de son costume d'ours, ça aussi ça traîne (on se dit in petto "Mais qu'il se l'enlève lui-même son costume, bon sang, avec ses mains, avec ses dents !").
Etc.
Qu'est-ce qui reste aujourd'hui, du chef d'oeuvre proclamé ? Sûrement la photo, très belle. Ce que j'ai vu était sans doute une version restaurée, mais la photo, son grain, les décors, etc., tout ça tient le coup. La comédie de la vie (ce que Balzac appelait "la Comédie humaine") tient aussi le coup, la vision désabusée de l'amour, des relations entre les gens. Le caractère volage des hommes. Et des femmes. Cette Christine de la Chesnaye (que joue Nora Gregor) qui hésite, sans vraiment se décider, entre les trois hommes qui l'aiment, et qui finalement s'adapte aux circonstances... Aussi, la fugacité de la gloire : celui que la foule accueille au début du film en héros (l'aviateur) meurt, tué comme un lapin, par un abruti de garde-chasse qui se méprend et... circulez, il n'y a rien à voir. Le caractère comique, dérisoire, fortement mélancolique (mais tout tragique évacué) de tout ce vaudeville sociétal... que la Deuxième Guerre Mondiale, sur le point d'éclater, balaiera avec le reste.
En somme, si la forme a vieilli, le fond demeure. Si bien que, probablement trop respectueux des hiérarchies établies, je reste perplexe devant cette Règle du jeu, hésitant à abaisser sa note, donc à lui retirer son statut de "chef d'oeuvre". Et pourtant, ceux-ci (par ex. Le Misanthrope, Le Cid, Vertigo, 2001 l'Odyssée de l'Espace) ne sont-ils pas intemporels ?