Je ne connais pas très bien Alain Cavalier mais découvrir La Rencontre évoque forcément une constellation de passerelles avec un autre film à la même teneur expérimentale sorti quelques années plus tôt, Libera Me. Il y a peut-être d'autres correspondances ailleurs dans ses travaux mais ces deux films, bien que l'un appartienne au registre fictionnel et l'autre au documentaire, semblent avoir été conçu en miroir : tout ce que Libera Me (1993) expérimente en matière de narration, de style et de cadrage, La Rencontre (1996) le poursuit dans une direction orthogonale. On voyait des personnages et des corps contraints par un totalitarisme flou, usant d'un symbolisme puissant qui se passait de tout dialogue. Ici, on ne verra quasiment aucun visage, tout est fait de gros plans, de voix off, de mains, et on investit la sphère hautement intime de la relation entre le réalisateur et Françoise Widhoff.
Le degré d'expérimental contenu dans ce cinéma-là triera assez rapidement ceux qui adhèrent de ceux qui ne supportent pas. On approche vraiment la définition de l'exercice de style avec ses partis pris très aigus, qui à titre personnel m'amusent et m'intriguent plus qu'ils ne me passionnent. Mais cette grosse heure en compagnie des deux personnes-personnages, que l'on ne verra jamais, file à toute allure à mesure que défilent les souvenirs et les récits spontanément provoqués par l'exhibition de différents objets, une pierre, un bouquet de fleur, un tableau, un poisson, un oiseau.
La plongée dans la sphère intime est totale et aurait pu s'avérer gênante : les touches par lesquelles on pénètre leur intimité sont minuscules, individuellement, un fragment par-ci par-là, mais elles s'accumulent en nombre très conséquent. Avec sa caméra numérique Cavalier construit une sorte de journal cinématographique à partir d'une myriade de moments de vie recueillis sur un an. On peut rester étranger à cette collection d'anecdotes, et les saillies poétiques du réalisateur sur les flatulences de sa compagne (les fameux vents célestes) pourraient très bien ne pas faire rire tout le monde. Mais cette heure gorgée d'évocations finit malgré tout par tailler son chemin vers quelque chose d'émouvant, dénué de voyeurisme, dépourvu d'élan narcissique, simplement structuré comme un journal vidéo de la trivialité amoureuse.
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