"Des Miss, y'en a partout !"
Gourmandise de choix confectionnée par Jean Eustache au début de sa carrière, au printemps 1968, déguisé en réalisateur de l'ORTF, en reportage dans sa ville natale près de Bordeaux pour documenter...
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il y a 6 jours
Gourmandise de choix confectionnée par Jean Eustache au début de sa carrière, au printemps 1968, déguisé en réalisateur de l'ORTF, en reportage dans sa ville natale près de Bordeaux pour documenter une cérémonie (des préparatifs jusqu'à l'exécution) un peu particulière : l'élection de la Rosière de l'année, c'est-à-dire la mise sur un piédestal d'une jeune femme "vertueuse et méritante". Pendant que certains lancent des pavés dans les rues de Paris, d'autres s'adonnent dans un petit village du sud-ouest à une célébration qu'on pourrait croire extraite telle quelle d'une époque médiévale, consécration du modèle féminin vertueux selon les codes patriarcaux de l'époque : une fille vierge, croyante, studieuse, et accessoirement fée du logis. La Rosière de Pessac, plongée délicieuse et hypnotisante dans une réalité parallèle, dans un autre temps. C'est vraiment collector.
Maître de cérémonie de l'ensemble de la procédure, Jean-Claude Dalbos est très clairement le personnage incontournable du documentaire. Maire de Pessac, figure du notable gérant ses ouailles par excellence, c'est autour de lui que sont réunies quelques illustres personnalités du coin afin de proposer quelques noms de jeunes filles triées sur le volet — des discussions qui occasionnent quelques tirades particulièrement comiques, reflétant la bonne morale et les afflictions de son temps, et tout particulièrement celle qui écarte une prétendante à cause de sa famille d'ivrognes et de délinquants qui pourrait ternir l'image de l'événement — et de procéder au vote. Un protocole très strict dont on se félicite, et qui va jusqu'à la remise d'une dot, à une cérémonie en robe de mariée, au défilé d'un cortège avec fanfare, d'une messe et enfin d'un gros banquet alcoolisé. Étrangement, lors du discours à l'église, les paroles du curé paraissent beaucoup plus modernes et bienveillantes à l'égard de mai 68, c'est lui le progressiste en comparaison.
C'est la sobriété de la démarche digne d'un Wiseman qui permet de créer les conditions d'une captation croustillante, sans commentaire, sans jugement, fidèle aux événements. Dans ces conditions, cette variante rétrograde du concours de Miss France ("des Miss y'en a partout, mais des Rosières, c'est plus rare !" dira fièrement le maire ressemblant étrangement à Paul Meurisse) qui a été reprise en 1896 laisse apparaître sereinement ces figures joviales d'un conservatisme antédiluvien. Génial personnage que ce Dalbos, fascinant dans ses dialogues interminables et ses flatteries répétées, adepte de la métaphore lunaire ("que cette fille soit un exemple pour la communauté, comme le levain dans le pain") et des remarques paternalistes gênantes ("on n'a pas misé sur les qualités physiques mais je suis content qu'elle soit très mignonne"), incapable de gérer la Rosière nonagénaire du cru 1900. Spectacle effarant de ces traditions primitives, mais aussi spectacle passionnant de ce monde en train de s'évanouir.
NB : Une deuxième version est tournée en 1979 et est censée être visualisée en premier selon la volonté du réalisateur.
Suite : https://www.senscritique.com/film/la_rosiere_de_pessac_79/critique/312906047
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Rosiere-de-Pessac-de-Jean-Eustache-1968-et-1979
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