Le monde, radeau de la méduse
La vie n’est plus, ou quasiment : plus rien ne pousse, plus d’animaux, pas même un oiseau. Rien, plus rien, seuls quelques survivants… La moindre canette ou boîte de conserve est un trésor, les chaussures sont un des biens les plus précieux. Il n’est plus question de vie, mais seulement de survie ; c’est le règne de l’individualisme le plus exacerbé, chacun pour soi, il n’y a pas de limite au pire, c’est sauver sa peau pour ne pas être le beefsteak de l’autre, parce que dans ce monde on a d’abord et avant tout faim. L’autre est la plupart du temps un ennemi, il faut être toujours à l’affut, et trouver des objets pour avancer, survivre…
C’est donc un monde où règne la peur, la peur de mourir de faim, la peur du froid, et donc, pire encore, la peur du cannibalisme, la peur des autres. Comment ne pas faire un parallèle avec ce que nous décrit Primo Levi dans Si c’est un homme ? Même si ici, l’homme semble encore libre, il peut faire des choix. A partir de quand ne sommes nous plus des humains ? Qui sommes nous quand on n’a plus rien ? Le film interroge notre humanité : qui sommes-nous, au fond ? Qui serions-nous dans une telle situation ? On n’apprend probablement à se connaître que dans les moments critiques, qui révèlent ce que nous sommes au fond de nous-mêmes. Dans cette quête intime de la connaissance de ce que je suis, je me suis toujours dit que j’aurais aimé vivre pendant la seconde guerre mondiale, non par pas que je sois masochiste, mais pour savoir qui je suis vraiment. Aurais-je été du côté des lâches, des courageux, des traîtres ? Jusqu’où me serais-je engagé ou dévoyé ? Je suis bien heureux de n’avoir pas vécu cette période affreuse, mais je regrette de n’avoir pu y être pour mieux savoir qui je suis. En tout cas, comme Né à Leidenstadt de Fredericks Goldman Jones, le film nous interpelle.
Ici, c’est d’abord la question de la survie, jusqu’où doit-on aller. Comment ? Et d’abord, pourquoi survivre ? Cela vaut-il le coup ? Y a-t-il encore vraiment un espoir ? Les deux héros cherchent à garder le feu sacré de la vie en quelque sorte, faire perdurer le bien dans une vision moraliste et manichéenne, tandis que le personnage incarné par Charlize Theron ne comprend pas cette démarche, c’est pour elle une quête impossible. En tout cas, elle n’est pas prête à s’engager dans les conséquences d’un tel projet. Nos deux héros décident de continuer, mais comment survivre ? Et comment garder ce feu sacré, comment rester bon dans un monde impitoyable ? C’est l’éternelle question de la fin et des moyens. Peut-on survivre et maintenir un idéal sans adopter les règles de survie adoptées par les autres ? Comment rester un humain ? Comment ne pas être radicalement transformé par l’instinct de survie, la détresse, la peur et le mal environnant. ? Comment protéger son fils, lui éviter le pire ? Car c’est aussi un film sur la relation père-fils, qui confronte le père aux principes qu’il a inculqués à son fils, et à la réalité d’un comportement qui peut difficilement ne pas être en contradiction.
Le film est très beau, les images sont grises, tout est gris ; le film est violent, certains passages sont un peu glauques, on n’est pas loin du film de zombies, la tension est bien retranscrite. Et puis il y a des rencontres, avec des personnages magnifiquement incarnés par Robert Duvall, Guy Pearce ou Michael K Williams. Par ailleurs, Viggo Mortensen est impressionnant dans ce rôle, impeccable avec son corps amaigri, nerveux et son visage marqué. Le petit s’en sort bien aussi, de même Charlize Theron. On notera bien quelques légers temps morts, des moments où l’on se surprend à rêver d’autre chose, quelques retours en arrière de trop, mais l’ensemble se regarde bien.
The road, un film sur la fin d’un monde, la fin de l’humanité, et malgré tout la nécessité de garder un cap, une route, seule façon de maintenir en vie une parcelle de bonté.