Pépé tu me manques

La soupe aux choux est l'adaptation d'un roman éponyme de René Fallet écrit en 1980. Succès modéré lors de sa sortie au regard des productions qui mettaient habituellement Louis de Funès en scène, il acquiert par la suite le statut de monument de la comédie et de la culture populaire française, parvenant toujours au fur et à mesure de ses abondantes rediffusions télévisuelles à fédérer un important et constant nombre de spectateurs. Il est pour ainsi dire la matérialisation de la madeleine de Proust pour toute une frange de cet audimat, un film que l'on partageait en famille lors de fêtes ou autres évènements et que l'on transmet ensuite à son tour d'une génération à l'autre. Ce n'est pas un hasard car l’œuvre traite justement de la transmission et de la filiation. C'est la fin d'une époque que je retrouvais entre autres dans la figure de feu mon grand-père, celle d'une vieille France incarnée par les personnages du Glaude joué par Louis de Funès et du Bombé interprété par Jean Carmet, rurale et campagnarde mais humaine et solidaire, qui se meurt. La fameuse "expansion économique" attire la nouvelle génération qui rêve de ville et de toutes les opportunités qu'elle offre. C'est l'exode rural qu'apporte un capitalisme aseptisé et destructeur, promoteur de l'individualisme, d'un consumérisme sans limites et d'une société du spectacle qui nous détache de la Nature et finalement de notre propre condition humaine. Rien ne peut entraver la relation des deux ruraux qui partagent leur passion du pinard, du perniflard et l'hédonisme de leur terroir avec la plus grande simplicité et modestie mais aussi avec pudeur. Les compères veillent mutuellement l'un sur l'autre. Les mots sont superflus et ce sont les actes qui prédominent. Un regard bienveillant du Glaude par sa fenêtre, un concours de pets ( d'ailleurs souvent mis en avant pour critiquer le film dans une dimension simpliste ) qui devient prétexte pour soulager un deuil... Leur amitié inébranlable ira jusqu'à surmonter la révélation d'un adultère. Ces derniers représentants d'une époque révolue sont isolés dans leur microcosme et ne recevront comme compagnie que celle de la Denrée joué par Jacques Villeret, un extraterrestre venu de la planète Oxo croyant avoir été appelé par leurs pets tonitruants . C'est un être tout aussi iconoclaste et marginal, vierge de tout préjugé et avide de découvertes qui sera conquis par l'hospitalité et la générosité des deux amis s'incarnant dans cette fameuse soupe aux choux. Un breuvage que le spectateur voudrait savourer avec ces lascars. Comme dirait le Glaude "La soupe aux choux ça parfume jusqu'au trognon, ça fait du bien partout qu'elle passe dans les boyaux. Tu veux que jt'y dise ça rend meilleur." Un plat du pauvre fait avec amour et générosité qui se partage.

Le film est littéralement une ode nostalgique et mélancolique pleine d'amertume à l'amitié, au partage et à l'appréciation des plaisirs simples. Il n'oublie pour autant pas la comédie et le trio d'acteurs est très bon. J'aime bien ce côté pastiche de SF détourné pour servir le propos du film d'autant que techniquement ça tient la route. Le design de la soucoupe est sympathique et le thème musical juste culte, totalement en phase avec l'action bien que surexploité et devenant du coup un peu redondant.