Quelle baffe ! Un des plus grands films d'action sortis dans les années 1980 si ce n'est le plus grand. Runaway Train est une production Cannon, un essai unique et largement le meilleur film estampillé de la compagnie. Il est réalisé par le transfuge Andrei Konchalovsky sur la base d'un scénario d'Akira Kurosawa que le cinéaste n'a jamais pu adapter faute de moyens financiers et techniques. Kurosawa voulait Henry Fonda et Peter Falk dans les rôles principaux et souhaitait tourner à New-York. Ça aurait pu avoir une sacrée gueule aussi mine de rien.
Le script ici est partiellement réécrit par Edward Bunker, un ancien taulard devenu romancier. Sa critique féroce du système carcéral américain et une description pragmatique des rapports humains en prison vont fortement influencer le long prologue du film rempli de violence et de folie qui se situe dans un pénitencier perdu au fin fond de l'Alaska gelé, l'enfer sur Terre où règne un sadique directeur ( John P. Ryan excellent ) qui semble être plus dangereux encore que l'ensemble des détenus multi-récidivistes. Manny un cambrioleur de banques ( Jon Voight ), véritable légende vivante de la prison du fait de son insoumission et de sa tenacité ainsi que Buck ( Eric Roberts ) son jeune acolyte de fortune idéaliste et désinvolte vont s'évader et se retrouver embarqués à bord d'un train fou lancé à toute allure sans conducteur.
Le film change ainsi de registre et se transforme en huit-clos où les protagonistes vont devoir se démener pour arrêter la catastrophe imminente. Le dispositif cinématographique s'assèche, faisant le lien entre le spectaculaire de l'évasion et le côté plus prosaïque où les deux hommes enfermés bientôt rejoints par une femme vont devoir cohabiter et coopérer.
Jon Voight est totalement méconnaissable et halluciné, lui qui a pour l'occasion côtoyé de vrais détenus de San Quentin. Il est davantage un animal enragé qu'un être humain. " You're an animal !" lui dira le personnage de Rebecca De Mornay. Il répond "No, worse ! Human." Marginal absolu, il est prêt à tout sacrifier et à mourir pour ne pas abandonner sa liberté mais saura faire preuve d'humanité lorsque son image factice de héros se sera effritée. Sa lutte continue avec le directeur Ranken est d'une incroyable intensité, un adversaire qui peut être vu comme sa Némésis mais qui lui ressemble sur certains points. Ranken est complètement obsédé par Manny et ne semble vivre que pour l'anéantir. Leur confrontation mentale et physique suinte la bonne testostérone old school et renvoie à l'étiquette du cinéma d'action viril de cette décennie. Pour autant l’œuvre est loin de s'assimiler à cette image et en joue parfois, comme lorsque Ranken fout la gueule de l'opérateur joué par Kyle T. Heffner dans les WC pleins de pisse. L'action est de manière générale beaucoup plus crédible, dépouillée et réaliste que dans le genre contemporain. Il y a aussi un gros travail sur les dialogues et le vocabulaire des détenus très limité. Buck s'exprime en faisant des fautes et Manny semble être carrément en transe lorsqu'il s'exprime, obnubilé par son idéal.
Le dualisme entre la bestialité et l'humanité est une des thématiques du film, illustrée notamment par la citation finale de Richard III de Shakespeare. Il y a aussi la dualité entre la chair et la ferraille. La locomotive qui transperce les pleines enneigées est indomptable et inarrêtable et son design renvoie à celui d'une bête affamée la gueule ouverte et assoiffée de sang. Les détenus empreints de fatalité ont ainsi transité d'une prison à une autre. La souffrance est omniprésente, le blizzard et le froid fracassent les corps meurtris lorsque ce ne sont pas des mécanismes qui broient des doigts.
Konchalovsky avec une économie de moyens et une science de la mise en scène restitue la détresse de l'instant présent. Il joue sur les lignes de fuite, symbolisées par les rails et le caractère immuable de la tragédie, une effroyable course en avant vers la mort. En bon cinéaste soviétique qu'il est il nous gratifie d'images fortes qui imprègnent la rétine. Manny debout sur le train les bras en croix, qui disparaît progressivement dans la neige en attendant la collision finale sur fond de Gloria de Vivaldi, quelle intensité et un souvenir cinématographique qui va me hanter pour longtemps.
Ce pessimisme donne sa puissance à l’œuvre, un film d'action au concept simple mais diablement efficace et surtout un formidable récit d'aventures sur le dépassement de soi, tant physique que psychique, sur la lutte contre le totalitarisme et pour la liberté, l'Alaska étant une allégorie à peine voilée de l'URSS du réalisateur et de son Goulag.