Second long métrage étasunien d'Andrei Konchalovsky, après Maria's Lovers (1984) avec Nastassja Kinski, et six ans après le remarqué Sibériade qui lui valut le Grand prix au Festival de Cannes en 1979, Runaway Train marque la première collaboration du russe avec la (sacro-sainte) Cannon de la paire Menahem Golan et Yoram Globus. Intégrant les rêves de grandeur et de respectabilité des deux cousins, qui les firent produire l'année précédente Love Streams de John Cassavetes, et en 1985 Fool for Love de Robert Altman, ce long métrage d'action à petit budget (9 M$) s'éloigne grandement des productions stéréotypées maison. Adapté d'un scénario d'Akira Kurosawa, Runaway Train n'a rien d'un simple film d'évasion. Le soviétique Konchalovsky signe ici un modèle du film d'action américain. Dans les salles le 4 septembre, Carlotta nous propose désormais une nouvelle copie restaurée de cette fuite désespérée dans l'enfer blanc.


Alaska, quartier de haute sécurité de Stonehaven. Oscar 'Manny' Manheim (Jon Voight), a passé ses trois dernières années en cellule d'isolement. Au terme d'une procédure judiciaire, ce prisonnier multirécidiviste, présenté par le gardien-chef Ranken (John P. Ryan) comme un animal, gagne le droit de rejoindre ses codétenus. Après avoir évité une attaque mortelle ourdie par Ranken, ce dernier n'ayant pas accepté cette décision de justice qui remet en cause son autorité, Manny décide de s'évader avec l'aide de Buck (Eric Roberts), le champion de boxe de la prison. Une fois à l'extérieur, les deux fugitifs se dirigent vers une gare de dépôt, et montent à bord d'un train. Mais le conducteur, victime d'une crise cardiaque, chute du train, le laissant dès à présent seul, lancé à toute allure...


Après une brève introduction carcérale co-écrite par Edward Bunker, Runaway train quitte rapidement l'autre genre qui en découle, le film d'évasion, pour glisser vers le thriller d'action. La tension est palpable, et savamment entretenue par ses trois fils conducteurs : le trio formé par les deux échappés et la jeune employée Sara découverte dans le train (Rebecca De Mornay), le poste de commande du système ferroviaire dirigé par Frank Barstow (Kyle T. Heffner) et Eddie MacDonald (Kenneth McMillan), et enfin Ranken, férocement déterminé à traquer Manny jusqu'à la mort de ce dernier.


Différence notable à porter au crédit du long métrage, Konchalovsky s'éloigne de l'usuel abattage viril et pyrotechnique pour dépeindre une fiction crue et sans artifice, à l'opposé des normes en vigueur durant la décennie 1980, celle qui vit un Tony Scott devenir maître d'oeuvre de cette sophistication stérile et stéréotypée. Au contraire, le cinéaste russe place ses personnages au centre de l'intrigue et de l'action. Manny, sous les traits d'un Voight transcendé, incarne le personnage tragique shakespearien. Force de la nature, en guerre contre le monde, sa soif de liberté ne peut être soumis à quelconque autorité, à l'instar de ce train fou traversant l'Alaska. Parabole violente de la nature bestiale de l'homme, symbolisée par la démence de Manny nourrie par ses dures années d'emprisonnement, Runaway train dépasse allègrement le cadre du film d'action tout en gardant ses codes. Le gardien-chef, parti à la recherche des fugitifs, s'inscrit ainsi parfaitement dans le rôle du personnage brutal conventionnel des séries B.


Nommés chacun dans la catégorie du meilleur acteur et du meilleur second rôle, Jon Voight et Eric Roberts trouvent en la personne de la jeune Rebecca De Mornay le contre point qui révélera l'humanité de Manny, et offrira à Buck un salut possible à cette aventure sans issue. L'interprétation de Voight, à l'image de son monologue expliquant à son partenaire ses choix limités de réinsertion, est d'ailleurs saisissante. Si on est en droit de rester mesuré devant le jeu de Roberts (encore que son potentiel à jouer les chiens fous décérébrés apparaît crédible), ce film marque néanmoins une époque où il était alors considéré comme un jeune acteur prometteur (Star 80 ou The Pope of Greenwich Village), avant de sombrer de nos jours dans des direct-to-videos improbables (Sharktopus).


Quant à la fin du film, les dernières images accompagnées par le Gloria de Verdi devraient rester longtemps gravées dans les mémoires.


"La bête la plus féroce connait la pitié. Je ne la connais pas. Je ne suis donc pas une bête."

Richard III


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2013/09/runaway-train-andrei-konchalovsky-1985.html

Claire-Magenta
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le 28 sept. 2013

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